«Ce n’est pas de l’hypocrisie, mais de la pondération d’intérêts»

> Lukas Iseli, collaborateur scientifique à l’Office fédéral de l’état civil et avocat,est l’un des auteurs du rapport du Conseil fédéral

Le Temps: En Suisse, comme dans la plupart des pays limitrophes, la maternité de substitution est interdite (art. 119 de la Constitution fédérale), mais lorsque des cas sont démasqués après un recours à des «ventres» à l’étranger, la situation est généralement tolérée, pour le bien de l’enfant. N’est-ce pas totalement hypocrite?

Lukas Iseli: Lors du premier contact des autorités suisses avec les parents d’intention, l’enfant vit généralement déjà avec eux. A l’étranger, ils sont considérés comme étant les parents juridiques. Il n’est donc guère possible de le leur retirer et de le rendre à la mère porteuse. Et en Suisse, le retrait de l’enfant aux parents d’intention en vue d’une adoption ne devrait être envisagé que si l’enfant est exposé à un danger pressant et durable sous leur garde. Enlever un enfant à la seule famille qu’il connaît, le placer dans une famille d’accueil, chercher des parents adoptifs et le placer chez ces personnes ne se justifie qu’en cas de danger pressant ou de trafic d’enfants. Cette procédure signifie une ou plusieurs ruptures pour l’enfant, ce qu’il faut éviter à cet âge. Pour ces raisons-là, on ne peut pas parler d’hypocrisie, mais d’une pondération des intérêts. Le bien-être de l’enfant est primordial.

– Le père commanditaire est généralement le père génétique. Ce n’est en principe pas le cas de la mère. Que se passe-t-il si un couple essaie de faire correctement les choses en allant inscrire l’enfant à l’état civil sans rien cacher? Le père est finalement le vrai père…

– Juste. Mais en Suisse, les personnes qui recourent à une mère porteuse ne sont pas juridiquement considérées comme les parents de l’enfant, même si elles figurent sur le certificat de naissance étranger. C’est la femme qui a accouché qui est considérée comme la vraie mère. Et si elle est mariée, son époux est de jure considéré comme le père de l’enfant. En clair: si le père d’intention est le père génétique, il peut reconnaître l’enfant uniquement si la paternité à l’égard d’un éventuel mari de la mère porteuse a été annulée.

– Lorsque les options de procréation médicalement assistée sont épuisées en Suisse, des médecins «guident» parfois des couples vers la maternité de substitution. Est-ce acceptable qu’ils incitent ainsi au «tourisme des mères porteuses»?

– Juger la détresse et les angoisses des couples sans enfants est impossible. L’infertilité peut être un énorme fardeau. Alors, lorsque les options de procréation médicalement assistée sont épuisées, les personnes concernées discutent des possibilités qui leur restent avec le médecin: rester sans enfants, adopter, chercher de l’aide à l’étranger. Si un couple pose des questions, le médecin a, à mon avis, le droit de répondre et de décrire certaines situations à l’étranger. S’il ne répond pas, le couple ira de toute façon chercher des informations ailleurs. Il ne serait par contre pas acceptable qu’un médecin pousse un couple ou qu’il profite de ce «service» qu’il lui rend. Mais nous n’avons absolument aucune raison de croire que les médecins en Suisse agissent de la sorte. La loi est claire sur ce point: elle précise que «sera puni de l’emprisonnement ou de l’amende celui qui applique une méthode de procréation médicalement assistée à une mère de substitution ou qui sert d’intermédiaire à une maternité de substitution».

– Y a-t-il des cas de recours à des mères porteuses plus acceptables que d’autres, notamment lorsqu’il peut être prouvé qu’il n’y a pas eu exploitation de la misère et que la femme ne prête pas son ventre uniquement à des fins lucratives?

– Dans un monde idéal, on pourrait conclure un contrat de mère porteuse acceptable, si toutes les personnes contractantes étaient absolument libres dans leur décision et n’agissaient que pour des raisons altruistes. La réalité est différente. Les mères porteuses proviennent régulièrement des couches socialement défavorisées de la population ou d’un environnement marqué par la pauvreté et la détresse. De plus, même dans un monde idéal, il y a toujours la question de l’enfant, auquel on ne demande pas son avis et qui devient l’objet d’un contrat.