«Je n’étais pas conscient que j’avais mon doigt sur la détente»
Justice
Au second jour du procès, le principal prévenu livre son récit des minutes qui ont conduit à la mort d’un jeune homme de 21 ans dans un parc à Yverdon

A-t-il exécuté sa victime de sang-froid, face à son refus d’obtempérer? Ou le tir qui a tué un jeune homme de 21 ans est-il le résultat d’un accident? Au second jour de son procès devant la cour du Tribunal criminel d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, qui se déroule à Renens, le principal prévenu a livré sa version de l’homicide survenu un soir de novembre 2018, qui a secoué la ville vaudoise. Aran avait été retrouvé inconscient dans ce parc de jeux, la tête traversée par le projectile, un paquet de 500 grammes de cannabis à côté de lui. Il avait succombé un peu plus tard au CHUV.
Le prévenu dégage de l’assurance, emploie des mots choisis, n’hésitant pas, par moments, à interrompre l’avocat de la partie civile. Face aux juges, Daniel, 22 ans, défendu par Me Thierry de Mestral, affirme qu’il n’avait qu’un seul but ce soir-là: dérober la drogue. Interrogé par la cour sur son rapport aux armes et des sous-entendus menaçants qu’il aurait proférés sur le compte d’un autre trafiquant, il dit avoir voulu «envoyer un message». «Je m’étais fait voler de la marchandise, cela se savait. Je devais montrer que cela pouvait avoir des conséquences, de s’en prendre à moi.»
Il admet sans ciller avoir été l’auteur du plan destiné à arnaquer un autre vendeur de cannabis. C’est lui qui a distribué les rôles de chacun des protagonistes. Il devait aller à la rencontre du dealer dans le parc, seul. S’emparer de la marchandise, puis repartir dans la voiture conduite par l’un de ses complices, Lorik*, qui comparaît à ses côtés. Ce dernier, la voix éteinte, a assuré vendredi face aux juges avoir tenté de dissuader Daniel de faire usage de son arme, ce soir-là. «Je pensais qu’il m’écouterait et ne tirerait pas.» «Pourtant le plan prévoyait de tirer?», réplique l’avocat de la partie civile.
Un autre comparse, déjà jugé devant le Tribunal des mineurs, devait faire exploser des pétards, pour déjouer l’attention des policiers forcément alertés par le bruit des coups de feu. «J’ai été naïf de croire qu’il ne le ferait pas», rétorque Lorik, à peine audible.
«Je n’ai jamais eu l’intention de tuer»
Daniel conteste tout projet meurtrier: «Je n’ai jamais eu l’intention de tuer, ni même de blesser qui que ce soit par balle.» S’il a emporté avec lui une arme chargée ce soir-là, c’était seulement dans le but d’effrayer le dealer pour s’emparer de sa marchandise, dit-il. Lorsque Aran* se baisse pour ouvrir son sac, il tente une première fois de lui arracher le paquet, en vain. C’est à ce moment qu’il aurait décidé de tirer un premier coup à gauche, en direction du sol. «J’ai été étonné car il n’a pas eu peur. Alors j’ai tiré sur ma droite, au sol.»
Comme il n’obtient toujours pas la réaction escomptée, il aurait tenté alors de frapper sa victime à la tête avec le canon du pistolet. Une fois. Puis une seconde. C’est alors que le coup serait parti. «Au moment où je l’ai touché, j’ai entendu une détonation.»
«Pourtant, en vous rendant dans ce parc, avec une arme chargée, en frappant avec le doigt sur la gâchette, comment pensez-vous que cela aurait pu se passer autrement?», demande le président. Daniel répond: «C’est allé très vite. Quand j’ai frappé, je n’étais pas conscient que j’avais mon doigt sur la détente.»
Voyant l’homme s’effondrer devant lui, il part en courant, laissant la marchandise sur place. «Je n’étais pas certain de l’avoir touché, ou si la balle était passée au-dessus de sa tête.» Au juge qui souhaite savoir pourquoi il ne prend pas la drogue avant de fuir, il répond: «Car je ne voulais pas l’obtenir de cette façon».
«C’est terrible, je n’ai rien d’autre à dire»
Le procureur Bernard Dénéréaz s’interroge: que dit le prévenu du témoignage de son jeune complice, celui qui devait faire péter des pétards, et qui a affirmé à plusieurs reprises durant l’enquête, avoir vu Daniel pointer son arme en direction de la tête de sa victime et tirer? «Il raconte n’importe quoi, s’emporte Daniel. Je ne l’ai pas fait, je ne vais pas le dire pour vous faire plaisir.» «Mais contrairement à vous, ce témoin maintient sa version du début à la fin», insiste l’avocat de la partie civile, Charles Munoz.
La défense tente une sortie par le haut: «Que vous inspire la mort d’autrui?», demande Thierry de Mestral. «C’est terrible, je n’ai rien d’autre à dire. J’ai pu en tirer du bon. Je n’aurais jamais changé s’il ne s’était pas passé quelque chose de si grave… Mais pour lui et sa famille, c’est seulement terrible.» Quelques mètres plus loin, le frère de la victime prend sa tête dans ses mains.
* Prénom d’emprunt