Lundi 2 décembre, Château de Neuchâtel. Toutes sirènes hurlantes, quelque 200 policiers et pompiers, non contents de faire la grève des amendes et de la facturation, montent défier les autorités cantonales, parce qu’ils refusent le relèvement de l’âge de leur retraite. Juste après, dans la salle du Grand Conseil, un député PLR insulte le Parti socialiste qu’il accuse d’être un «danger public». Les députés PS quittent alors la salle.
Deux heures plus tard, oubliant les promesses faites au soir des élections de mai dernier de retour au consensus, de rétablissement de la confiance et d’exigence de passer par-dessus les bisbilles partisanes pour travailler au bien commun, le bloc de droite du parlement, majoritaire, après une passe d’armes verbale méprisante et insultante, vote comme un seul homme contre le compromis budgétaire 2014 proposé par le Conseil d’Etat, dans le seul but de démontrer qui dispose du «vrai» pouvoir. Le PLR, qui a perdu la majorité gouvernementale en mai dernier, tient sa revanche.
L’image est frappante: le nouveau et fringant Conseil d’Etat neuchâtelois à majorité socialiste est atterré. Les cinq ministres sont effondrés dans leurs fauteuils, la mine longue. Le président Laurent Kurth se tient la tête dans les mains, le regard dans le vide.
Après une législature 2009-2013 calamiteuse, ponctuée du renvoi par le peuple des ministres sortants, après une trêve de six mois, le Château «brûle-t-il» à nouveau? L’espace d’une triste soirée, Neuchâtel est retombé dans le marasme politique et institutionnel qui a marqué la législature précédente et que tout le monde ou presque, au soir des élections de mai, avait promis de ne plus revivre.
Les responsabilités sont partagées. S’il a bénéficié d’un état de grâce depuis son accession au pouvoir, s’il a lancé d’ambitieuses réformes, notamment pour juguler l’explosion des coûts d’aide sociale, s’il a brillamment remporté la triple votation du 24 novembre, importante pour la cohésion cantonale, le Conseil d’Etat frais émoulu a commis deux erreurs tactiques, vraisemblablement par naïveté. Même s’il a expliqué pourquoi – pour y insérer une vision politique –, il a rendu sa copie budgétaire un mois trop tard, mettant une pression sur le parlement, qui l’a mal digérée. Ensuite, il n’a pas senti que la dérogation préconisée au frein à l’endettement ne pourrait pas être avalée par la droite parlementaire, qui ne cesse d’exiger année après année l’équilibre de la trésorerie.
Bien sûr, ce même Conseil d’Etat a su proposer in extremis sa formule pour respecter les freins, mais c’était trop tard. Le PLR, l’UDC et les vert’libéraux – qui avaient pourtant promis de s’affranchir des querelles gauche-droite et qui se sont alignés sur la position intransigeante du bloc bourgeois – ont été inflexibles, souffletant non seulement la majorité socialiste du gouvernement, mais aussi le ministre PLR Alain Ribaux, qui a courageusement appelé à la raison. Pas question de céder au compromis, a décrété une droite prompte à ressortir la hache de guerre, même si ce compromis réalisait le dogme de ne pas déroger au frein à l’endettement.
Chassez le naturel, il revient au galop. Si le nouveau gouvernement neuchâtelois, avec trois socialistes, un PLR et l’UDC Yvan Perrin, a décidé d’en finir avec les blocages du passé et d’inverser les «logiques néfastes», le parlement et des employés de l’Etat ont conservé le virus de la controverse et de l’affrontement. Rechute passagère ou culture chronique de l’irrespect? L’«élan du renouveau» pourrait avoir été brisé et la législature en être durablement affectée.