Suivant l’avis du Conseil de l’Université et du Sénat (l’assemblée des professeurs), le Conseil d’Etat neuchâtelois a nommé nouveau recteur de l’Université de Neuchâtel le Haut-Valaisan d’origine Kilian Stoffel, 52 ans. Il prendra ses fonctions le 1er août et succédera à Martine Rahier, rectrice durant 8 ans.

Résidant à Bevaix, Kilian Stoffel est enseignant dans l’institution depuis 1997. Après avoir effectué des études en mathématiques et en physique, il a bifurqué vers l’informatique. Il est actuellement directeur de l’Institut de management de l’information à l’Université de Neuchâtel.

Jovial et pragmatique, Kilian Stoffel ne fera pas de révolution. Il s’appliquera à renforcer la confiance dans une institution ébranlée par diverses affaires et prône une «transparence maximale».

Le Temps: Comment envisagez-vous la succession de Martine Rahier, première femme rectrice d’une université en Suisse? Serez-vous son héritier ou vous inscrirez-vous en rupture?

Kilian Stoffel: Cette question a été débattue dans le processus de sélection du nouveau recteur. La communauté universitaire et le Conseil d’État voulaient prioritairement une personnalité qui connaisse bien l’institution, le monde politique et le système universitaire suisse. Je m’inscrirai dans la continuité de l’actuelle rectrice pour pérenniser des programmes qui fonctionnent bien et caractérisent notre université. Mais j’ai aussi des projets, qui ne s’inscrivent pas en rupture, mais en développement.

– Lesquels?

– Ces dernières années, de nouveaux domaines sont apparus à Neuchâtel, comme le pôle sur la migration ou celui lié aux médias et au journalisme. A cela s’ajoute les domaines de compétence traditionnels, comme l’hydrogéologie ou le droit de la santé. C’est dans le spectre existant que l’on peut imaginer des développements. L’idée, c’est de miser sur des niches et des sujets en prise directe avec les défis de la société et l’actualité.

Fédérateur de compétences

– Vous prônez les collaborations. Comment les envisagez-vous avec les autres hautes écoles de la région, la HE Arc, la HEP, l’EPFL et son antenne de recherche Microcity, le CSEM?

– On entend souvent qu’il y a des doublons entre certaines hautes écoles. C’est une analyse superficielle: un examen attentif montre que ce n’est très souvent pas le cas. Les hautes écoles de la région sont complémentaires et je vois mon rôle comme celui d’un fédérateur de compétences. Je possède de très bons contacts dans les autres institutions et j’entends les faire fructifier!

– Quelle est la place de l’Université de Neuchâtel dans le paysage universitaire suisse: doit-elle rester généraliste ou faut-il la spécialiser davantage?

– La stratégie de notre université consiste à offrir un programme généraliste pour le bachelor, afin d’ouvrir un maximum de portes aux étudiants grâce à une formation de base solide. Pour la seconde phase, en master, où la formation est plus pointue, nous devons opérer des choix. La collaboration avec les autres universités est décisive et existe déjà. Sur les trente masters que nous proposons, une dizaine se fait en coopération avec d’autres institutions.

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– Le programme fédéral d’encouragement à la formation, à la recherche et à l’innovation pour la période 2017-2010 est doté d’une enveloppe de 26 milliards, en croissance de 2%. Swissuniversities, la faîtière des hautes écoles et des EPF, s’est dite très inquiète, jugeant cette hausse insuffisante pour préserver la place scientifique suisse. Quelle est votre position?

– Je partage bien sûr les préoccupations de mes collègues. Mais en tant que petite université, notre structure est assez différente de celle des EPF et des grandes institutions. Nous avons un avantage sur elles et notamment sur les EFP, qui sont majoritairement financées par des fonds fédéraux: nous sommes plus flexibles. Le budget de l’Université de Neuchâtel est financé pour un tiers par le canton, un tiers par la Confédération et un tiers par d’autres sources (le FNS, des fonds européens, des fonds privés…). Un fonctionnement basé sur ces trois sources nous donne une certaine souplesse pour nous ajuster si l’une des trois vient à diminuer.

Pour une enveloppe quadriennale

– Mais le canton de Neuchâtel veut aussi réduire l’enveloppe financière de l’université: deux de vos sources de financement pourraient diminuer…

– L’une des missions cruciales du recteur est de faire comprendre aux milieux politiques à quel point la formation est importante dans notre société. Mais on ne peut pas demander l’impossible non plus et il faut faire preuve de pragmatisme. Je pense qu’en montrant clairement pourquoi il faut une bonne formation supérieure, nous pourrons convaincre qu’il n’est pas judicieux de trop réduire ses moyens. Je souhaite par ailleurs que nous puissions compter sur une enveloppe financière quadriennale, et non sur un financement qui puisse être remis en question chaque année lors de l’examen du budget cantonal. L’important, c’est d’avoir une confiance maximale entre l’institution universitaire et les autorités politiques.

– Et les fonds européens? Dans quelle mesure l’Université de Neuchâtel serait-elle affectée si la Suisse était exclue du programme de recherche Horizon 2020?

– Je partage entièrement l’avis des autres hautes écoles: la Suisse doit impérativement rester associée à Horizon 2020. Mais comme nous dépendons moins que certaines d’entre elles des fonds européens et que nous ne dirigeons pas d’importants programmes, être coupé d’Horizon 2020 aurait des répercussions moins fortes pour nous que, par exemple, pour l’EPFL.

– L’Université de Neuchâtel recrute principalement ses étudiants dans l’Arc jurassien. N’est-elle pas suffisamment attractive pour ceux des autres cantons ou de l’étranger?

– Les stratégies sont différentes pour les bachelors et les masters. Les premiers s’adressent prioritairement aux étudiants de l’Arc jurassien. Mais nous constatons que nous avons augmenté nos effectifs ces dernières années grâce à la venue d’étudiants d’autres cantons. En revanche, au niveau des masters, nous souhaitons recruter de manière beaucoup plus large.


– Parmi les priorités du Conseil fédéral dans le programme d’encouragement à la formation, celle de développer les études de médecine: 100 millions de francs seront mis à disposition des hautes écoles pour les développer. Plusieurs académies ont des projets. Qu’en est-il à Neuchâtel?

– Pour l’instant, nous offrons uniquement la première année de médecine. Pour les années suivantes, nous avons des accords avec les universités de Genève et Lausanne qui prennent nos étudiants. Développer les 2e et 3e années de médecine pour aller jusqu’au bachelor représenterait un investissement très important. Une étude portant sur ce scénario avait été commandée il y a une dizaine d’années et l’université avait renoncé au vu des coûts que cela représentait. En l’état, nous n’avons pas de projet pour un cursus complet, mais dans le contexte de restructuration des études de médecine, peut-être que des éléments de collaboration seront à revoir, il est trop tôt pour le dire.

La crise du plagiat est «derrière»

– L’Université de Neuchâtel a été secouée par des affaires de plagiat, de mobbing et de contrôle des dépenses ces dernières années. Quelle est votre recette pour y remédier?

– L’université n’était pas préparée à ces crises. Depuis que les affaires ont éclaté, un important travail interne a été réalisé pour faire face à des situations contraires à l’éthique scientifique, que ce soit le plagiat ou d’autres problèmes comme les conflits d’intérêt ou la falsification de données. Nous nous sommes dotés de règlements et de procédures clairs. La crise est maintenant derrière nous, les processus mis en place pour restaurer l’éthique scientifique ramènent la confiance.

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– Quel type de recteur serez-vous, dans votre université et dans la cité?

– J’entends prioritairement être à l’écoute et confronter mes idées à la sagacité de la communauté universitaire. Je suis favorable à une transparence maximale, pour renforcer la confiance, à tous niveaux, à l’interne, dans l’environnement neuchâtelois, mais aussi avec les partenaires académiques. Pour moi, l’université doit être en prise directe avec les grands enjeux de la société.