Neuchâtel
En présentant ce mercredi un budget 2022 affichant un excédent de 10,3 millions de francs, le conseiller d’Etat socialiste assure que le canton est sorti de sa période de crise financière permanente. Mais les incertitudes liées au choc du covid sont nombreuses

Neuchâtel et ses finances publiques, c’est une histoire compliquée. Après plusieurs années d’efforts, le Conseil d’Etat a réussi à sortir le canton d’une situation de crise financière perpétuelle. Puis le covid est arrivé. Ce mercredi, le gouvernement a présenté le budget 2022, avec un excédent de revenus de 10,3 millions de francs, mais qui prévoit un prélèvement de 50,7 millions dans les réserves pour absorber le choc de la pandémie. Le point avec le conseiller d’Etat chargé des finances, le socialiste Laurent Kurth.
Le Temps: Un budget excédentaire, mais une augmentation de la dette pour compenser l’impact du covid. Dans quel état d’esprit êtes-vous?
Laurent Kurth: Votre question résume la réponse que je peux donner. Mes sentiments sont ambivalents. D’un côté, il y a la satisfaction de voir que les efforts de ces dernières années ont conduit à une structure financière qui, hors covid, serait équilibrée. Néanmoins, ce n’est jamais acquis. Les objectifs que nous nous étions fixés, notamment pour dégager des marges de financement – nous avons une enveloppe d’investissements nets de 114,2 millions pour 2022, ce qui ne s’était pas vu depuis longtemps –, sont atteints. Ce socle financier sain est également un élément très apaisant pour la vie politique. De l’autre côté, il y a l’immense défi du covid avec un impact financier de 50 millions de francs (8 millions de charges supplémentaires et 42,7 millions de baisse de revenus fiscaux). Nous avons des instruments nous permettant d’amortir le choc.
Quels instruments?
Nous demanderons au Grand Conseil une dérogation pour pouvoir prélever dans la réserve de politique conjoncturelle. Celle-ci est prévue en cas de crise majeure. Le covid en est clairement une. Pour le reste, le budget s’inscrit dans une pure continuité.
Le changement de majorité à droite au Conseil d’Etat a-t-il influencé ce budget?
Nous ne sommes que dans les quatre premiers mois de la nouvelle législature. Ce budget a été en grande partie concocté par l’équipe sortante. Par contre, au premier trimestre 2022, nous présenterons le programme de législature qui doit, selon la Constitution, être accompagné d’un plan financier. C’est à cette occasion que le gouvernement actuel posera sa marque, avec probablement des arbitrages et une approche de la société neuchâteloise différents.
Lire le portrait: Laurent Kurth, pour l’amour de la tourmente politique (2017)
Les perspectives pour 2022-2025 restent mauvaises. Le canton ne risque-t-il pas de nouveaux dérapages financiers?
Ces dix dernières années, nous avons introduit des réformes quasiment non-stop. Malgré les allégements apportés sur le plan fiscal, nous avons rétabli l’équilibre. C’est un atout énorme dans le but de susciter une dynamique de croissance démographique et économique, et donc à terme une hausse des recettes fiscales. On en aura besoin pour absorber les hausses des coûts à venir dans les domaines de la santé, de la formation, du social, etc. A ce stade, je ne suis de loin pas tétanisé. Mais nous avons besoin d’une union sacrée. A nous, autorités politiques, de la créer.
Malgré le covid, vous avez maintenu la réforme de l’imposition des personnes physiques. C’était le bon choix?
C’était un choix cohérent au vu des autres réformes. Je suis à la fois en opposition avec la droite, qui pense que l’impôt est le critère numéro un de l’attractivité, mais aussi avec ma famille politique qui néglige parfois cette question. L'«enfer fiscal» était devenu un leitmotiv, source de blocages, incitant des Neuchâtelois à quitter le canton. Nous devions prendre nos responsabilités. Nous avons ainsi fait des choix forts, favorables notamment aux familles et aux pendulaires.
Neuchâtel, qui a baissé son taux d’imposition des entreprises à 13,5%, n’entrerait pas dans le standard de 15% de l’OCDE. Etes-vous inquiet d’une éventuelle perte d’attractivité?
Je demeure surtout vigilant. On ne sait pas trop ce qui va se passer. Il y a encore de nombreuses incertitudes. Nous avons ouvert un dialogue avec les entreprises concernées présentes à Neuchâtel. La Suisse perdra-t-elle un avantage significatif dans la compétition internationale? Je pense que nous gardons énormément d’atouts: sécurité, niveau de qualification de la main-d’œuvre, stabilité juridique, paix sociale, cadre de vie…
Avec l’impact du covid et les investissements, la dette va bondir de 200 millions de francs pour dépasser le cap des 2 milliards… C’est énorme.
En dix ans, nous serons passés d’une dette de 1,3 à 2,3 milliards. Dit comme ça, c’est énorme. Mais il faut relativiser. Nous avons assaini la caisse de pension pour plusieurs centaines de millions et le réseau hospitalier pour 250 millions. Sur ce milliard de hausse, plus des deux tiers sont en fait une internalisation dans les comptes de l’Etat de dettes existantes. Le tiers restant est produit par le covid et la volonté d’investissements forts pour moderniser le canton. Celui-ci est d’ailleurs à un carrefour intéressant. Nous sommes au-devant des plans d’infrastructure colossaux (RER, route de contournement…) qui vont générer de nouvelles dynamiques et permettre de gagner en attractivité. Nous avons aussi réussi à positionner Neuchâtel sur la carte suisse de l’innovation, tout en ayant réformé l’ensemble de notre fiscalité, qui n’apparaît plus comme un épouvantail.