Neuchâtel
Le conseiller d'Etat socialiste n'en finit pas avec les dossiers compliqués: son budget neuchâtelois 2017 est passé in extremis. Il défend une réforme hospitalière contestée dans les Montagnes où il réside. Portrait d'un bûcheur qui gagnerait parfois à s'emporter

L'archétype du politicien qui maîtrise et se maîtrise, qui veut tout superviser. Un bûcheur infatigable. Un homme qui sait rire aussi, mais pas aux éclats comme son prédécesseur Jean Studer. Qui prend du temps pour écouter, expliquer avec une infinie patience et convaincre sans imposer.
Le conseiller d'Etat socialiste neuchâtelois Laurent Kurth, engagé dans la délicate mission de réorganiser les hôpitaux de son canton avec une votation cruciale le 12 février, est un homme d'Etat courageux, qui ne craint pas la confrontation. Ni l'échec. Ne répète-t-il pas à l'envi que, depuis treize ans qu'il occupe des mandats politiques professionnels - huit ans à l'exécutif de La Chaux-de-Fonds, cinq ans au Conseil d'Etat -, il est prêt à changer de métier du jour au lendemain.
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Quand ses tripes ont parlé
L'approche trop cartésienne lui est parfois reprochée. Un reptile froid. Compétent, respecté, mais qui manquerait d'émotion et de chaleur. Il a beau dire et répéter qu'il est heureux en faisant de la politique, que c'est sa passion, il apparaît trop droit dans ses bottes. Pourtant, dans le débat sur le dossier hospitalier, face à un Grand Conseil qui tergiversait, il s'est emporté. Ses tripes ont parlé. Et il a été bon, convainquant.
Laurent Kurth est un Chaux-de-Fonnier audacieux. En 2000, dans sa ville aux mains claniques du PS, dont il est aussi, il fut de ceux voulaient renverser le patriarche Charles Augsburger. Sans succès. Mais dès son entrée à l'exécutif en 2004, il en devient le leader. Il sauve La Chaux-de-Fonds de la tutelle financière.
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L'homme commet aussi des erreurs. Il se fourvoie dans un emprunt toxique qui plombe encore aujourd'hui la trésorerie chaux-de-fonnière démunie. En 2012, après avoir hésité, il passe au Château où le timonier Jean Studer a délaissé son fauteuil. Laurent Kurth apprend vite, il convainc et est le seul ministre sortant réélu en 2013. Il prend la tête, avec son compère Jean-Nat Karakash, du très collégial gouvernement du renouveau.
Des erreurs
Mais il commet une deuxième erreur: il demande au peuple de valider, en automne 2013, un plan hospitalier concocté par celle qui l'a précédé, Gisèle Ory, qui entend répartir de manière équilibrée les missions aux hôpitaux de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel. Il lui faudra une année et la force de persuasion de celle qu'il a engagée pour présider Hôpital neuchâtelois, la Genevoise Pauline de Vos Bolay, pour comprendre que le plan voté par le peuple est irréaliste dans le contexte hospitalier suisse.
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A Noël 2014, Laurent Kurth fait sa révolution copernicienne. Qu'il met opportunément en scène. Certes peu fier d'avoir été pris en défaut, il oppose un stop radical à la fuite en avant hospitalière de son canton. Ordonne qu'un autre plan, tenant compte des puissants et brutaux principes de réalité qui régissent l'organisation hospitalière en Suisse, soit étudié. Le plus judicieux eût été de concentrer les soins hospitaliers aigus et de réadaptation en un seul endroit. Financièrement et politiquement suicidaire.
Soins aigus à Neuchâtel, réadaptation à La Chaux-de-Fonds
En symbiose avec la nouvelle direction de l'hôpital cantonal, il prône la formule soumise au peuple le 12 février: les soins hospitaliers aigus concentrés à l'hôpital Pourtalès en ville de Neuchâtel, le vétuste hôpital actuel de La Chaux-de-Fonds est abandonné au profit d'un nouvel établissement à construire dans les Montagnes - peut-être au Crêt-du-Locle - concentrant la réadaptation cantonale, avec une policlinique développée.
Validé par une batterie d'experts, le programme heurte - et le mot est faible - certains médecins et les politiciens du Haut du canton, coalisés de longue date. Il est pour eux impensable que la troisième ville de Suisse romande, La Chaux-de-Fonds, 39 000 habitants, n'ait pas son hôpital généraliste de soins aigus.
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Le Haut a lancé une initiative pour pour deux hôpitaux «sûrs, autonomes et complémentaires». A la veille du scrutin décisif, la campagne fait rage, elle dérape parfois, les uns et les autres s'accusent de tous les maux. Le gouvernement cantonal a dû lancer un appel au calme et au respect.
Son combat, sa probable victoire
Laurent Kurth fait face. Souvent seul. C'est son combat. S'il l'emporte, ce sera sa victoire. Le passionné de politique est dans son élément. Même s'il risque le surmenage. Il est aussi ministre des Finances, et Neuchâtel a tout autant mal à sa trésorerie qu'à ses hôpitaux. «C'est vrai que depuis l'été dernier, il n'y a jamais eu de pause», concède Laurent Kurth. «S'il y avait effectivement deux options hospitalières, le peuple pourrait trancher et nous appliquerions celle qu'il a retenue. Or, tel n'est pas le cas. Nous avons dû - et c'est très problématique - passer outre le scrutin de 2013, car il était inapplicable. Je crains qu'on fabrique, le 12 février, un vote qui provoque une nouvelle illusion, celle d'avoir dans ce canton de 180 000 habitants deux hôpitaux généralistes. C'est impossible.»
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La stratégie de communication du ministre a été prise de court par la virulence de la campagne des Montagnes pour l'initiative, portée à bout de bras par la Ville de La Chaux-de-Fonds, autorités et administration. Le ministre chaux-de-Fonnier est considéré comme un traître. Il a beau répéter qu'il s'engage tous les jours pour La Chaux-de-Fonds comme pour le reste du canton, qu'un nouvel hôpital de réadaptation avec une policlinique à 175 millions de francs, c'est autrement plus intéressant que la défense «de l'hôpital du passé et de grand-papa», selon sa formule. Certains de ses compatriotes du Haut le haïssent, d'aucuns lancent parfois des appels au "tout sauf Kurth". «C'est évidemment difficile à encaisser, car je reste viscéralement attaché à cette ville. Ce qui me pose surtout problème, c'est que La Chaux-de-Fonds oppose son intérêt à celui du canton. On peut faire entendre la voix des Montagnes, mais pas contre le canton. Les Montagnes n'ont aucun intérêt à s'isoler.»
S'il ne craint pas la confrontation, dans laquelle il s'applique stoïquement à garder son calme, Laurent Kurth a lui aussi le tort de mener une «campagne de grand-papa», laissant trop de champ libre à ses adversaires, notamment sur les supports électroniques où lui et le canton sont absents.
La valse des ministres de la Santé
Après la bataille du 12 février que Laurent Kurth semble en mesure de gagner, il faudra continuer de gouverner un canton que le combat hospitalier et son lot de frustrations, de promesses non tenues et de luttes personnelles et régionales auront meurtri. Suivra la courte campagne électorale jusqu'au 2 avril, date du renouvellement des autorités cantonales. Laurent Kurth, comme ses quatre collègues du Conseil d'Etat, est candidat à un nouveau mandat.
Depuis plus de deux décennies, les ministres de la Santé passent à la trappe après une législature à Neuchâtel (Michel von Wyss, Maurice Jacot, Roland Debély, Gisèle Ory) à l'exception de la socialiste Monika Dusong, réélue de justesse en 2001. Si sa réforme échoue, Laurent Kurth sera-t-il à son tour recalé? Le sérieux de son travail est respecté et la faible concurrence électorale lui est favorable.
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Besoin de souffler
Epuisé physiquement et nerveusement - il avoue parfois des nuits de 3 heures et il a mis entre parenthèses sa passion pour la course à pied après un dernier marathon en octobre -, Laurent Kurth s'octroiera, quoi qu'il arrive, une pleine semaine de congé, lors des relâches du 1er mars. Un impérieux besoin de souffler.
Le politicien aura cinquante ans en septembre. Comment les fêtera-t-il ? «Je ferai une sortie et j'ai promis à ma compagne un check-up physique complet. Que je sois encore conseiller d'Etat ou pas. Il n'y a pas de lien entre mon parcours de vie personnel et mon engagement politique. Je suis prêt à admettre que tout s'arrête demain. En même temps, ce job me plaît tellement...»