#LeTempsAVélo

Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.

«Dans le monde de demain, soit on fait beaucoup de solaire, soit on installe 11 000 centrales nucléaires. Voilà.» Le décor est planté. Christophe Ballif, directeur du Laboratoire de photovoltaïque de l’EPFL (PV-Lab) et spécialiste du domaine, multiplie les phrases chocs, ondule frénétiquement entre les grosses machines, exhibe plein de modules aux formes et aux couleurs variées, comme un magicien sort des lapins de son chapeau. S’il était possible de capter l’énergie qui émane du professeur aux cheveux de sel et au regard vif, l’humanité n’aurait plus de souci à se faire.

Lire aussi: A Neuchâtel se lève le solaire de demain (2016)

Nous nous trouvons au cœur du temple suisse du soleil: Innoparc, à Hauterive, non loin de Neuchâtel, dans les locaux du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM). Derrière les façades quelconques de ces bâtiments vieillissants se joue peut-être ici l’avenir de la planète. On s’enfonce dans un dédale de couloirs, passant devant des vitres au teint orange, derrière lesquelles des chercheurs en tenue de cosmonaute manipulent avec précaution des cellules. Un logo précise qu’il est interdit de prendre des photos.

L’énergie la moins chère et la plus écologique

Mis au courant de notre démarche sur la Suisse qui change depuis 1998 – année de fondation du Temps – notre guide a fait ses devoirs: «Il y a vingt-trois ans, les panneaux solaires les plus répandus, en silicium, avaient un rendement de 11%. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé et la production solaire couvre 5% de la consommation suisse d’électricité, contre rien à l’époque. Quant aux coûts de fabrication, ils ont été divisés par 20. Désormais, c’est dans les grands parcs solaires que l’on produit l’énergie la moins chère, qui est aussi celle qui a le moins d’impacts sur la biodiversité.» Le professeur ne vous laissera pas le quitter sans vous avoir convaincu que le solaire est la solution ultime.

Dans cette course au photovoltaïque, le CSEM joue les premiers rôles. Ces dernières années, il a enchaîné les records mondiaux d’efficacité, notamment pour une cellule dans un module de verre et pour une cellule de pérovskite sur silicium. C’est sur cette dernière technologie que reposent les plus grands espoirs à moyen terme. Selon le directeur du PV-Lab depuis 2004, c’est grâce à elle qu’on pourrait imaginer, dans vingt-trois ans, atteindre des modules avec un rendement de plus de 30% à un prix accessible.

#LeTempsAVélo, septième épisode: De Morges à Bevaix, le pari gagnant des casseurs de prix allemands

Relocaliser la production

Mais entre le laboratoire et l’usine, il y a un monde. «Une cellule en salle blanche, c’est seulement 10% du travail. Or le but n’est pas de seulement créer une curiosité de laboratoire», continue Christophe Ballif, dont le discours est toujours imprégné de pragmatisme économique. C’est pourquoi l’équipe qu’il dirige est orientée vers la concrétisation. Parvenu à la salle où sont finalisés les modules, il exhibe avec fierté les dernières prouesses de son équipe: ici un module avec contacts à l’arrière, là une cellule «parfaite», c’est-à-dire sans quadrillage apparent, mais aussi des panneaux blancs, beiges ou rouges, voire en forme d’œuvre d’art.

C’est là que le CSEM se distingue des concurrents asiatiques à bas prix: les cellules qu’il développe en partenariat avec des acteurs privés sont soit plus efficaces, soit plus adaptées à un usage précis, avec en ligne de mire une relocalisation d’une partie considérable de la production. Un mouvement amorcé ce printemps, avec l’inauguration en Allemagne des premières lignes de production de Meyer Burger, dont les modules à haut rendement ont été développés avec le CSEM.

Lire également:  Le solaire a son quartier à Neuchâtel

«Faire une façade en verre, ça n’a plus de sens»

A Neuchâtel, la révolution solaire est partout. En traversant la ville à vélo, il semble que les toits sont davantage équipés qu’ailleurs, ce que confirme une étude du WWF parue en 2020, selon laquelle le canton de Neuchâtel est celui qui exploite le mieux son potentiel solaire. Sur les hauts de la ville, on découvre avec étonnement la nouvelle façade d’UniMail, un des bâtiments de l’Université de Neuchâtel, inaugurée cet été et entièrement couverte de panneaux solaires. Une première en Suisse.

Notre carnet de route:  #LeTempsAVélo, troisième étape: de Boudry à Bienne

«Faire une façade en verre, ça n’a plus de sens», assène Séverine Scalia Giraud, directrice du bureau Masai Conseils, qui a dessiné la façade. Pour l’ingénieure, il n’y a plus aucune raison de faire des façades dites «passives»: «Avec les panneaux solaires actuels, on peut avoir toutes les structures que l’on veut. D’un point de vue financier, le surcoût est rapidement compensé par la production d’électricité. Ce n’est donc même plus une question d’argent.»

Deux générations, un objectif

Retour au CSEM, où l’on rencontre Laurie-Lou Senaud, 30 ans et bientôt engagée en tant qu’ingénieure. La jeune femme aux yeux d’atoll, qui finit son doctorat, travaille sur la cellule au silicium, qu’elle tente d’optimiser en essayant nombre de variations sur les couches des cellules et leur composition. C’est en suivant à l’EPFL le cours de Christophe Ballif qu’elle a eu une «révélation» et a décidé de se diriger vers le photovoltaïque, «pour apporter [sa] pierre à l’édifice».

Si le mentor et sa cadette sont unis autour de la volonté de développer le solaire pour contrer les «forces du mal» (comprenez l’industrie pétrolière), leurs engagements sont sensiblement différents et décalquent le contraste générationnel. Quand le premier arbore avec fierté une montre solaire, arrive en Tesla, met en avant sa technophilie, la seconde parle surtout de conviction écologique et affirme fièrement «avoir arrêté de prendre l’avion il y a cinq ans». Comme quoi, se diriger vers le futur revient parfois à puiser dans le passé.

Lire encore:  Alexandre Pauchard: «Je veux faire rayonner le CSEM dans les milieux économiques et politiques»