«Prends soin de mon doudou!» C’est le cri du cœur lancé ce printemps par un collectif citoyen dans le canton de Neuchâtel, via notamment une vidéo mise en ligne sur les différents réseaux sociaux. Derrière la formule enfantine, une inquiétude profonde autour des conséquences de la réforme de la politique cantonale de protection de l’enfance démarrée au 1er janvier. «Nous voulons informer le grand public et interpeller les politiques avant qu’il ne soit trop tard», justifie l’un des membres du collectif, dont beaucoup travaillent de près ou de loin dans le domaine de la jeunesse. Vu le contexte tendu, il préfère conserver l’anonymat mais il assure: «Aujourd’hui, tous les voyants sont au rouge.»

Pourtant cette réforme, annoncée en mai 2018, puis détaillée en décembre, a belle allure sur le papier. Elle doit permettre de moderniser un dispositif cantonal de protection de l’enfance datant d’une cinquantaine d’années. Son concept: diminuer les placements et maintenir davantage les petits dans leur famille ou, le cas échéant, dans une famille d’accueil. D’ici à 2021, 50 places en institution vont ainsi disparaître sur un total d’environ 300. Une diminution compensée par le développement d’un suivi ambulatoire.

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«Rien n’a été réfléchi»

Mais réalisée sur fond de coupes budgétaires drastiques (3 millions par année), cette réforme en profondeur braque et provoque autant d’incompréhensions que d’inquiétudes dans un canton à la population un peu plus fragile qu’ailleurs (le taux d’aide sociale de 7,5% est le plus élevé de Suisse). Des doutes qui grandissent également au sein du Service de la protection de l’adulte et de l’enfance (SPAJ). «On a planifié des suppressions de places en foyer, voire la fermeture – déjà cet été – d’une institution comme La Coccinelle [ndlr: ce foyer offre 14 places d’accueil de jour aux enfants de 0 à 7 ans dont les parents connaissent des difficultés sociales ou psychiques], mais les solutions de rechange ne suivent pas, le nombre de familles d’accueil est pour l’heure insuffisant. Rien n’a été réfléchi», regrette-t-on à l’interne, où l’on décrit une ambiance pesante.

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A l’extérieur aussi, l’atmosphère est lourde. Dans un dispositif basé sur des fondations privées subventionnées, la réforme cantonale va provoquer la suppression d’une soixantaine d’équivalents plein-temps (EPT). «A L’enfant c’est la vie, la procédure de licenciement collectif a déjà été enclenchée, explique Yasmina Produit, secrétaire au Syndicat des services publics SSP. Pour cette fondation, cela représente 22 EPT, soit 28 personnes licenciées, ou en fin de contrat, en août. Pour huit d’entre elles, il n’y a encore aucune solution.»

«Des apprentis sorciers»

Au-delà des questions liées au personnel, les syndicats s’inquiètent surtout pour la prise en charge et l’intégrité des enfants lors d’un processus dont les inconnues sont encore nombreuses, notamment en matière de recrutement et d’accompagnement des familles d’accueil. «Le Conseil d’Etat joue aux apprentis sorciers, dénonce encore Yasmina Produit. Aucun monitoring des besoins n’a été réalisé, alors que la réforme est menée tambour battant.»

Ce sentiment de précipitation est partagé par les autorités communales. «Il y a comme une volonté de passage en force que je ne comprends pas», relève Anne-Françoise Loup, conseillère communale (exécutif) de Neuchâtel chargée du dicastère Education, Santé et Action sociale. Elle regrette que les villes aient été placées devant le fait accompli, avec un projet déjà ficelé. «Nous n’avons pas été consultés en amont, confirme la socialiste. Alors même que cette réforme va occasionner un report de charges supplémentaires sur les communes. Dès cet été, nos crèches devraient par exemple s’adapter pour accueillir les enfants de La Coccinelle, qui ont des besoins spécifiques.»

Postulat déposé au Grand Conseil

Lors d’une récente séance, le jeudi 6 juin, les représentants des villes ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs demandes aux responsables du SPAJ. «Je crois que nous avons été entendus, un accord va être trouvé sur le plan financier et des groupes de travail vont être créés», se félicite Anne-Françoise Loup. Face à la levée de boucliers, les autorités cantonales doivent en effet trouver des solutions rapidement. Certain de la justesse de la nouvelle politique, le Conseil d’Etat veut maintenir le cap et le tempo (lire interview). Le gouvernement propose ainsi de rejeter le postulat déposé le 14 mai devant le Grand Conseil par la socialiste Martine Docourt. Le texte demande l’établissement d’un rapport sur les conditions de la nouvelle politique de placement de mineurs, avant sa mise en œuvre.

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«Prendre le temps de la réflexion est nécessaire», regrette celle qui avait déjà déposé une interpellation sur le sujet le 21 janvier dernier, restée sans effet. «Quand il y a autant d’acteurs différents qui prétendent qu’une politique ne va pas dans le bon sens, il est essentiel de rassurer et de rassembler, poursuit Martine Docourt. Le climat autour de cette réforme est tel qu’il met en péril sa réussite. Aujourd’hui, l’impression qui se diffuse est que l’on met en place un nouveau système avant tout pour économiser de l’argent et que l’enfant n’est plus la priorité.»