Justice
Pour lutter contre l'apparente impunité des trafiquants de boulettes de cocaïne, le canton a accéléré les procédures de condamnation et les fait exécuter sans délai

L’information émane du procureur général neuchâtelois Pierre Aubert: vendredi dernier, les inspecteurs de la police des stupéfiants, engagés dans l’opération «Narko» qui a court depuis plus de deux ans, ont interpellé en ville de Neuchâtel trois trafiquants de boulettes de cocaïne. Le premier en était à sa première interpellation, il s’est vu notifier une ordonnance de condamnation de 60 jours-amendes avec sursis. Le deuxième a écopé de la même peine, mais il traînait une autre condamnation de 150 jours avec sursis, il a été mis en détention. Le troisième, poursuivi pour des charges plus lourdes, a été lui aussi mis derrière les barreaux et déféré au tribunal des mesures de contraintes.
Neuchâtel ne pouvait illustrer de meilleure manière son opération contre le deal de rue «Narko» et, surtout, l’efficience de la coordination entre volonté politique, action de la police, célérité de la justice et capacité à enfermer des trafiquants pour qu’ils purgent leur peine.
Opération «Promess»
Après Genève et Lausanne, en 2011, la vague de vente de boulettes de cocaïne dans la rue principalement par des ressortissants d’Afrique de l’ouest a atteint Neuchâtel. Les autorités et la police ont mis en place l’opération «Promess», consistant à dédier cinq inspecteurs à la traque desdits trafiquants, les prendre en flagrant délit, au besoin à acheter de la cocaïne, pour les renvoyer devant la justice. En été 2013, police et justice se targuaient d’avoir dénoncé 56 trafiquants et saisi 147 grammes de cocaïne. «Nous avons réussi à perturber ce trafic», se réjouissait le procureur Nicolas Feuz. Neuchâtel évitait de devenir une scène ouverte de la drogue et, parce que l’opération était visible, la population a pu se sentir rassurée.
Restait un double problème: l’opération «coup de poing» n’a pas éradiqué le trafic de cocaïne et, surtout, une fois interpellés et condamnés par ordonnance pénale – même rapidement, dans les 24 ou 48 heures –, les trafiquants ne purgeaient pas leurs peines, faute de place dans les prisons. D’où un sentiment d’impunité. D’ailleurs, les dealers ne résistaient pas lors de leurs arrestations, sachant qu’ils ressortiraient rapidement des locaux de la police.
Les décisions d’Alain Ribaux
Deux choses ont changé depuis. Les travaux de rénovation de la prison La Promenade à La Chaux-de-Fonds ont été achevés et de la place supplémentaire dégagée. Le ministre de la Sécurité Alain Ribaux, ancien juge, a pris une double décision inédite: il a fait réserver à son service pénitentiaire cinq cellules pour héberger les dealers condamnés et il a mis autour d’une même table des intervenants qui avaient la fâcheuse tendance à se renvoyer les responsabilités de l’inefficacité: la police, le ministère public, les services administratifs d’exécution des peines et des migrations, des gens de terrain, inspecteurs, responsables de centres de demandeurs d’asile, etc.
«Avant, tout était cloisonné, constate le chef de la police judiciaire Olivier Guéniat. Désormais, le dispositif est extrêmement efficace.» Les chiffres en attestent. Depuis 2015, 251 personnes dont une majorité provient d’Afrique de l’ouest ont été dénoncées dont 104 pour trafic de drogue. Rien que pour 2016, 48 dénonciations dont 26 dealers.
Nous sommes passés au sentiment de succès certain, avec une action qui est enfin crédible auprès de la population.
Depuis juillet 2015 et la mise à disposition de cinq cellules à La Chaux-de-Fonds, 19 vendeurs de cocaïne purgent ou ont purgé une peine, pour 2255 jours de détention. «En 2013, nous avions un sentiment de demi-échec avec la non-incarcération des dealers. Nous sommes passés au sentiment de succès certain, avec une action qui est enfin crédible auprès de la population», se félicite Alain Ribaux.
Les expulsions, autre problème
Tout n’est pourtant pas réglé. Le trafic de cocaïne dans la rue persiste, «mais il y en a trois fois moins», dit Olivier Guéniat. La répression étant plus sévère, les interpellations se font souvent dans la violence, «90% des dealers tentent de fuir», note Pascal Luthi. S’il parvient à bousculer le trafic de rue, Neuchâtel ne l’endigue pas vraiment. Il n’a d’ailleurs pas la prétention de résoudre le problème de la consommation de drogue.
Condamnés rapidement, subissant leur détention dans la foulée, les dealers doivent ensuite être expulsés. Or, les procédures, là, posent souvent problème. Neuchâtel étudie la constitution d’une autre «table de coordination» pour faciliter la réalisation des renvois de délinquants étrangers.