Une affaire au long cours
Arcinfo s’était déjà fait l’écho en février 2022 de «ces souffrances qu’on préfère taire». Il était reproché aux codirecteurs un manque de compétences managériales et de complémentarité. L’affaire avait rebondi devant le législatif communal en mars, au travers d’une interpellation PLR s’inquiétant de ces «vives tensions».
Thomas Facchinetti (PS), chargé du dicastère de la culture, avait alors assuré que la souffrance exprimée par certains collaborateurs avait été prise au sérieux, donnant lieu à une série de mesures: amélioration de la communication interne, meilleure répartition des tâches, mise à jour des cahiers des charges, formalisation des projets sur un horizon à cinq ans.
«On passe à tout autre chose», avait poursuivi Thomas Facchinetti, non sans s’offusquer que l’article de nos confrères ne repose que sur des sources anonymes: «Je ne crois pas que l’on se trouve dans une situation de dictature […] où quiconque dirait un mot de travers se ferait réprimer» Il s’était aussi défendu d’avoir voulu mettre les problèmes sous le tapis: «De toute façon, ils ressortent d’une manière ou d’une autre.» Ce qui se confirme un an plus tard.
Gestion de crise décriée
Sur la dizaine d’entretiens que nous avons menés entre novembre et février, deux n’ont duré que quelques secondes: «Nous avons reçu pour directive de ne pas parler à la presse.» D’autres ont duré près de deux heures. «On nous a déjà dépossédés de notre santé physique ou mentale. Nous enlever le droit de parler serait terrible», s’emporte Eric (tous les prénoms et les genres sont fictifs).
Dans un premier temps, la conversation porte invariablement sur les codirecteurs: «Ils n’ont pas confiance dans leurs équipes et veulent tout contrôler, relève Walter, les yeux humides. Ils font tout ensemble, comme si l’un se méfiait que l’autre ne finisse par devenir plus important, et peinent à donner une direction claire au musée. Mais lorsqu’ils sont attaqués, ils se serrent les coudes.» D’autres parlent de violences morales répétées, d’infantilisation, qui auraient selon eux mené à une hausse des démissions et des arrêts maladie.
Plus que le management, la colère de nos interlocuteurs cible aujourd’hui la gestion de cette crise par les ressources humaines de la ville et Thomas Facchinetti. «Les mesures prises n’ont en rien modifié la mécanique interne, déplore Zoé. Beaucoup viennent au travail avec la boule au ventre, d’autres sont résignés ou cherchent un autre emploi. La motivation a disparu à tous les étages.» Eric abonde dans ce sens: «La seule évolution depuis l’an dernier, c’est qu’on est passé d’un autoritarisme brutal à une collégialité de façade, où tout le monde se méfie de tout le monde.»
«On s’est vraiment moqué de nous»
La restitution orale de la médiation est aussi vivement critiquée: «Thomas Facchinetti et la cheffe des ressources humaines nous ont dit qu’on avait tout intérêt à nous comporter de manière enthousiaste et aimable, sans laisser de place aux questions, constate Xavier. Nous avons ensuite dû insister pour revoir Thomas Facchinetti, et il s’est fait «allumer». Il est revenu nous voir un an plus tard, on ne pouvait plus rien dire. Il n’y a eu aucun suivi par les médiateurs ou les RH, c’est l’horreur.»
Thierry confirme, la gorge serrée, avant de relever l’absurdité d’une formation obligatoire sur le harcèlement au travail organisée au printemps dernier par les ressources humaines de la ville: «On se reconnaissait dans les exemples donnés. Lorsqu’on nous a expliqué les démarches à entreprendre, on s’est dit: «C’est ce qu’on a fait, et cela s’est retourné contre nous de manière catastrophique!» J’ai l’impression qu’on s’est vraiment moqué de nous.»
D’aucuns accusent encore Thomas Facchinetti d’avoir menti à plusieurs reprises dans sa réponse au législatif, en minimisant la gravité de la situation, en présentant comme «un regard externe de 2022» un texte qui faisait l’éloge du MEN sur le site Museums.ch – il s’agissait d’un contenu promotionnel rédigé par les équipes du musée en 2017 – ou en affirmant que la refonte des cahiers des charges était achevée à 95%, alors qu’ils n’ont été signés que fin décembre.
Sans remettre en cause la responsabilité des codirecteurs et des autorités, Valérie relève que «certains collaborateurs ont des réactions d’enfants gâtés» et estime que tout le monde doit désormais mettre de l’eau dans son vin pour réinstaurer le dialogue: «Tout n’était pas rose non plus par le passé. Mais malgré les tensions, on était une équipe qui s’identifiait au MEN et se battait pour lui. A l’heure actuelle, ce n’est plus du tout le cas. La ville a laissé couler le bateau et ce sera désormais très compliqué de le remettre à flot.»
Un audit externe annoncé
Sans s’attarder sur les attaques personnelles formulées à son encontre, Thomas Facchinetti prend acte des critiques exprimées; «Elles sont prises très aux sérieux et laissent à penser que les mesures mises en place jusqu’ici n’ont pas suffisamment porté leurs fruits. Je le regrette bien évidemment.»
D’autres procédures sont-elles envisagées? «Au vu du contenu et de la virulence de ces témoignages, et de la souffrance qui est encore exprimée, le Conseil communal a décidé de lancer un audit externe, répond le chef de la Culture. Il aura pour but de faire examiner, par un organisme indépendant spécialisé, le fonctionnement et la gouvernance de l’institution. Ainsi que de formuler des recommandations pour s’assurer de la restauration d’un climat de travail sain et constructif dans la durée.» Et de préciser que l’exécutif maintient sa confiance tant à la direction qu’au personnel du musée.
Yann Laville: «Je n’y reconnais pas notre environnement de travail»
Codirecteur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, Yann Laville répond à nos questions.
Le Temps: Comment réagissez-vous aux témoignages que nous avons recueillis?
Yann Laville: Loin de moi l’idée de vouloir minimiser, mais je n’y reconnais pas notre environnement de travail quotidien. Le MEN a certes vécu des périodes chahutées. Sans avoir résolu la quadrature du cercle, je pense malgré tout que, depuis deux ans, des mesures ont été prises et que des choses ont pu être améliorées.
Les personnes avec qui nous avons échangé ne partagent pas cette conclusion…
Cette interprétation leur appartient. Ce que je regrette, c’est que des collaborateurs expriment le fond de leur pensée à des journalistes plutôt qu’à l’interne. Je n’ai pas de baguette magique pour résoudre les problèmes qui ne sont pas verbalisés. La ville de Neuchâtel offre pourtant de nombreux espaces de discussion, des moyens d’alerter la direction, les ressources humaines ou les autorités politiques. En tant que fonctionnaires, nos collaborateurs jouissent enfin de droits et de protections très étendues. Personne n’est empêché de s’exprimer.
A les entendre, ces moyens n’ont pas fonctionné. N’est-ce pas là le fond du problème?
Peut-être que certains canaux se sont révélés inefficaces ou décevants par rapport aux résultats attendus. Mais cela me semble abusif de dire qu’il n’y avait plus de moyens pour dialoguer à l’interne. Ce que nous souhaitons, c’est que l’on nous dise ce qui ne va pas et qu’on nous fasse des propositions concrètes d’amélioration. Jusqu’ici, cela n’a été que rarement le cas.
Un audit externe va être réalisé, qu’en pensez-vous?
Il est peut-être nécessaire de passer par un audit afin d’établir les faits et de sortir des non-dits. C’est une étape logique puisque les autres moyens n’ont pas fonctionné. Nous pourrons ainsi mieux comprendre ce qui pêche aux yeux de certains et certaines et voir quelles solutions pourront être trouvées.