Yvan Perrin, un politicien en quête de rédemption
Rescapés (1/4)
Il y a quatre ans, à la suite d’un burn-out aggravé par des insomnies chroniques et des problèmes d’alcool, le Neuchâtelois, alors conseiller d’Etat, s’effondrait. Après une traversée du désert, l’UDC vise en 2019 un retour à Berne, pour prouver qu’il peut être encore utile

Pendant quatre jours, «Le Temps» dresse le portrait de personnes qui, après avoir connu les affres d’une longue traversée du désert, sont parvenues à rebondir. Voici le premier volet.
«J’étais au bout du tunnel, il n’y avait plus de lumière. Je n’avais qu’une seule peur, celle de basculer dans la folie avant d’avoir pu m’en aller.» Les mots sont forts. Ils cognent. Ils sont ceux d’Yvan Perrin, politicien UDC de premier plan, qui a connu une longue descente aux enfers, entre burn-out, dépression, insomnies chroniques et problèmes d’alcool, qui va le conduire à démissionner du Conseil d’Etat neuchâtelois en juin 2014, une année seulement après son entrée en fonction. Une chute douloureuse qui, de par ses fonctions, s’est étalée sur la place publique sous les projecteurs des médias, qui détailleront de ses séjours en clinique à ses envies suicidaires.
Sa maison, son refuge
Aujourd’hui, Yvan Perrin espère revenir sur la scène politique lors des prochaines élections fédérales de 2019. «Un retour en toute humilité, vu que la fin de mon dernier mandat n’a pas été très glorieuse. Mais je crois pouvoir encore être utile», confie-t-il, attablé chez lui à La Côte-aux-Fées, 450 âmes, le plus haut village du Val-de-Travers, caché à la vue des gens de la plaine par le Chasseron. Cette maison héritée de ses parents, celle de son enfance, demeure son refuge, durant les jours sombres, comme lorsqu’il s’y claquemurait pour s’enivrer, mais aussi lors des plus lumineux. C’est l’endroit où il s’est reconstruit, au cœur des forêts du Jura qu’il aime parcourir en VTT ou à skis de fond. Le sport, un exutoire à tous ses maux.
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A l’intérieur de la demeure, une multitude de souvenirs, du vieux téléphone mural avec ses sonnettes en nickel de sa mère aux assiettes à l’effigie du général Guisan, ainsi que d’innombrables livres, des Mémoires de Churchill à la biographie d’Adolf Ogi. Dans un coin de la demeure, une hallebarde offerte pour sa vice-présidence suisse de son parti et une affichette de journal: «Neuchâtel, le flic UDC qui dérange». Les témoins d’une ascension politique fulgurante de celui qui fut l’un des fers de lance de la nouvelle UDC, dite «blochérienne», en Suisse romande, avec le Valaisan Oskar Freysinger.
«Pur produit de la télévision»
Pour Yvan Perrin, l’histoire débute véritablement un dimanche soir de janvier 2003. Il est l’invité de l’émission de Mise au point de la RTS, curieuse de découvrir ce jeune président de l’UDC neuchâteloise, canton le plus europhile (80% de oui en 1992 lors du vote sur l’adhésion à l’EEE), le dernier à ne pas avoir de section du parti agrarien. L’homme fait forte impression. Après neuf minutes d’interview, tous les cadres du parti en Suisse romande savent qu’ils tiennent là un candidat pour les élections fédérales de l’automne suivant. «Je suis un pur produit de la télévision», sourit-il.
Policier au crâne rasé et au regard métallique, qui a fait 6 sur 6 avec un exposé sur Mein Kampf lors de son examen d’allemand au bac, le profil est pour le moins clivant. A Neuchâtel, ils sont nombreux à sourire, n’accordant que peu de chances au nouveau venu. Ils ne riront pas longtemps. Le 19 octobre 2003, c’est un coup de tonnerre. Pour sa première participation à un scrutin, l’UDC neuchâteloise obtient 21,5% des suffrages. Pour Yvan Perrin, la porte du Conseil national s’ouvre brusquement. «C’était très intense, très vite, je n’étais pas prêt», reconnaît l’UDC.
Timidité excessive
Le grand public l’ignore encore. Mais le sang-froid affiché sur les plateaux TV durant la campagne par le Neuchâtelois masque en fait une timidité excessive, en partie héritée de problèmes d’obésité durant l’adolescence qui avait poussé le jeune Yvan Perrin à se réfugier dans la lecture. Dans la réalité, la veille d’un débat télévisé, il ne dort pratiquement pas de la nuit. Et le jour J, il s’habille d’un pantalon large pour qu’on ne voie pas ses jambes trembler, comme il le confiera un jour au Temps. Il se souvient encore du stress insondable qui l’a envahi lors de sa première intervention au pupitre lors du plénum du Conseil national.
Yvan Perrin va s’épuiser. Le 17 janvier 2010, il craque. Un burn-out. Il sombre dans un trou noir de cinq jours. Plus rien ne sera comme avant. Carbonisé par des insomnies chroniques et des problèmes privés, il est en souffrance. L’alcool devient une échappatoire. Malgré sa vulnérabilité, l’UDC se présente à l’élection du Conseil d’Etat de son canton. Son état de santé inquiète. Les Neuchâtelois lui font néanmoins confiance et l’élisent, en mai 2013, au gouvernement. L’élection interpelle jusque dans les pays voisins. Le magazine français Le Point y consacre un article: «En Suisse: un homme atteint de troubles psychiques devient ministre.»
«Remise en question profonde»
La plongée sera vertigineuse. «Ce fut tellement rapide. Je ne pensais pas que l’on pouvait tomber aussi bas», souffle-t-il. Après une phase de déni, Yvan Perrin démissionne. Il effectue alors ce qu’il a appelé son «tour de Suisse des cliniques». Il finira par remonter la pente. «Le déclic s’est fait grâce à un médecin qui a trouvé comment me faire dormir. J’ai pu passer une première nuit complète, puis une deuxième, une troisième… Et là, la lumière est réapparue dans le tunnel.»
Ce sera l’élection de Guy Parmelin au Conseil fédéral qui remettra véritablement le pied à l’étrier à Yvan Perrin. Il est toujours hospitalisé lorsque son collègue de parti lui demande un coup de main pour arranger ses textes et discours. Le Neuchâtelois forme la garde rapprochée du candidat avec la Genevoise Céline Amaudruz et le Vaudois Kevin Grangier. «Que Guy me fasse confiance, sentir que je pouvais à nouveau servir à quelque chose, a été déterminant, c’est ce qui m’a permis de sortir de clinique», raconte Yvan Perrin. De cette campagne victorieuse, il en écrira un livre, L’autre lecture de l’élection de Guy Parmelin.
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Cette politique fédérale fait à nouveau vibrer le politicien qui a toujours sommeillé en lui. L’UDC s’est ainsi mis à disposition de son parti en vue des élections fédérales de 2019. Malgré ses déboires, il espère que les Neuchâtelois lui feront une nouvelle fois confiance. «Ces épreuves m’ont amené à une remise en question personnelle profonde», assure-t-il. Le chemin vers Berne est encore long, mais Yvan Perrin veut croire que l’obscurité est désormais derrière lui.