Le Littoral neuchâtelois, ses rives, ses vignes et sa douceur de vivre. Cette image idyllique cache une dure réalité: de plus en plus de Neuchâtelois quittent la région pour s’installer dans les cantons limitrophes, en particulier quand ils souhaitent accéder à la propriété. Avec une motivation similaire: trouver un terrain à prix abordable tout en réduisant notablement leur facture fiscale. Le succès est tel qu’une commune comme Cudrefin (VD), sur la rive sud du lac, ressemble de plus en plus à une colonie neuchâteloise. Selon son syndic, Claude Roulin, 90% des nouveaux arrivants sont issus du canton (lire ci-dessous).

Solde négatif

Le conseiller d’Etat Jean Studer a mis en évidence en juin dernier des chiffres qui illustrent le phénomène: entre 2001 et 2006, 10 000 contribuables ont quitté le canton de Neuchâtel pour s’installer à l’étranger (32%) ou dans d’autres cantons. Vaud (23%) et Berne (16%) arrivent en tête des implantations. Durant la même période, Neuchâtel a enregistré 6500 arrivées, un solde négatif qui souligne avec acuité «le manque d’attractivité du canton», selon les termes du magistrat socialiste.

L’enquête menée par le Département des finances montrait que les départs ne sont pas le fait des plus riches, mais avant tout de contribuables de la classe moyenne âgés de moins de 40 ans (deux tiers des partants). Mais elle ne donnait que des explications très vagues sur les motivations de ces départs, évoquant en vrac «un lien avec l’activité professionnelle» et «le poids de la charge fiscale».

Pas un mot, en revanche, sur la pénurie de terrains constructibles et les prix bas des régions voisines, paramètres clés pour comprendre l’afflux des Neuchâtelois au sud du lac, dans la région d’Yverdon, dans le Seeland bernois ou dans le Vully fribourgeois. «Nous avons recherché le canton de destination, pas la commune, précise Jean Studer. Il est prévu de refaire l’exercice chaque année. Nous devrons préciser ce point. Il est en effet cohérent de penser que des familles neuchâteloises qui ne disposent pas encore d’un bien immobilier partent chercher leur bonheur dans des régions limitrophes où les terrains sont moins chers et la fiscalité plus attractive.»

Les prix pratiqués dans le Bas du canton ont souvent un effet repoussoir pour une classe moyenne qui cherche à limiter au maximum l’apport de fonds propres. Les différences peuvent être colossales. Avec vue sur le lac, le mètre carré approche 700 francs sur le Littoral neuchâtelois. C’est presque trois fois plus qu’à Cudrefin, où il avoisine 250 francs. La disponibilité des terrains et des biens constitue un autre handicap. L’offre trimestrielle des maisons individuelles illustre le manque d’attractivité du Littoral neuchâtelois par rapport aux régions voisines (voir infographie).

«Pour les Neuchâtelois qui souhaitent acheter une maison, surtout si elle est individuelle, le prix et la disponibilité des terrains constituent des facteurs de délocalisation importants, souligne Hervé Froidevaux, économiste à Wüest & Partner. Ils pourraient bien sûr acheter un bien dans le Val-de-Ruz ou dans les Montagnes, où les prix sont plus bas et les disponibilités plus importantes. Mais pour beaucoup d’habitants du Littoral, la proximité du lac est très importante. Elle peut même constituer un facteur déterminant.»

La charge fiscale joue également un rôle clé. Dans les communes neuchâteloises, l’impôt absorbe entre 14 et 17% du revenu brut d’un ménage de quatre personnes qui dispose d’un revenu de 120 000 francs. Elle se situe entre 10 et 12% dans les communes limitrophes au canton. «Souvent, ce n’est pas le facteur déterminant, reprend Hervé Froidevaux, Neuchâtelois de souche revenu au pays après des séjours dans les cantons de Zurich et Vaud. Mais quand les gens hésitent entre deux biens, l’aspect fiscal pèse lourd. En particulier quand les différences sont aussi importantes.»

Cela tombe bien: la «priorité des priorités» de Jean Studer est justement d’«améliorer la fiscalité de la classe moyenne et des familles» du canton. Mais ce ne sera pas pour demain. «Avant cela, nous devons continuer les réformes en cours pour assainir les finances cantonales.»

Retour d’attractivité?

Le président du Conseil d’Etat souligne la difficulté d’élargir les zones constructibles sur le Littoral – et donc d’améliorer l’offre. «Pour des raisons topographiques, les surfaces à disposition sont moins extensibles qu’à Gals (BE) ou Cudrefin. Le canton de Neuchâtel dispose en outre d’une réglementation stricte concernant l’utilisation du territoire, en particulier pour les crêtes et les coteaux. Mais des adaptations sont possibles. Un nouveau plan directeur cantonal est en cours de préparation. Il devrait être présenté d’ici à la fin de 2009 ou au début de 2010.»

Faut-il craindre pour l’avenir du Littoral? «Dans dix ou quinze ans, la région sera très attractive, assure Hervé Froidevaux. Avec la saturation progressive de l’Arc lémanique, les centres de moyenne importance vont tirer leur épingle du jeu. Des villes comme Yverdon et Neuchâtel vont profiter du développement des transports publics pour attirer des pendulaires. Elles offrent beaucoup d’avantages: présence d’instituts de formation et de recherche, une très bonne qualité de vie, des infrastructures et des terrains globalement bon marché.»

La comparaison avec l’Arc lémanique est édifiante. Le prix médian par mètre carré d’une maison individuelle est de 8300 francs à Nyon et de 6800 francs à Morges. Il est de 4800 francs sur le Littoral neuchâtelois, soit exactement le niveau de la moyenne suisse.

Jean Studer est lui aussi résolument optimiste. «Il y a un potentiel important sur le Littoral, mais aussi dans les Montagnes avec le projet Transrun qui mettra La Chaux-de-Fonds à moins d’une heure de train de Lausanne. Notre défi, d’ici là, est d’améliorer nos conditions cadres pour être aussi attractifs que les cantons voisins.»