«Ce matin, les Chambres fédérales élisent M. Max Petitpierre président de la Confédération pour 1960. C’est la troisième fois que le chef du Département politique assume cette charge, à laquelle il fut appelé en 1950 et en 1955 déjà.

En quatorze ans – M. Petitpierre entra au Conseil fédéral en 1945 –, que de chemin parcouru!

Au milieu d’un monde secoué par les dernières convulsions de la guerre, la Suisse était isolée. Pour les belligérants, la neutralité n’avait plus de sens dans une lutte menée pour l’écrasement du national-socialisme et le triomphe de la démocratie. […]

Rétablir les liens rompus ou distendus, ouvrir des fenêtres sur l’extérieur, relever l’idée même de neutralité tombée dans un injuste mais explicable discrédit, tel fut le grand dessein de M. Petitpierre. […]

Le chef de notre diplomatie [s’est] appliqué à montrer que notre neutralité n’avait, ni pour le peuple ni pour ses autorités, le sens que l’étranger, mal informé trop souvent, lui prête. Elle ne couvre pas la préoccupation égoïste d’échapper aux risques, d’ignorer les problèmes qui se posent hors de nos frontières, de se calfeutrer dans la sécurité. ­Toutefois, elle ne prend sa pleine valeur qu’en se doublant du devoir de solidarité. Cette formule, «neutralité et solidarité», M. Petitpierre s’est efforcé non seulement de la défendre, mais de l’illustrer. […]

Toutes les fois que le Conseil fédéral, entraîné par M. Petitpierre, passait aux actes, [il devait] vaincre des résistances, apaiser des inquiétudes, essuyer des critiques. Mais la volonté, le pouvoir de persuasion de l’homme bien décidé à suivre la voie qu’il s’était tracée, surmontaient les obstacles. Grâce à lui d’abord, la Suisse entendit l’appel du général Marshall et trouva le ­chemin de l’OECE [l’Organisation européenne de coopération économique, l’ancêtre de l’OCDE, issue du Plan Marshall, pour en répartir les crédits destinés à aider la reconstruction de l’Europe après la guerre]; elle accepta l’offre de participer aux travaux de la commission d’armistice en Corée; elle s’associa à plusieurs Etats pour construire et exploiter le CERN. […] Avec persévérance, le conseiller fédéral neuchâtelois allait de l’avant, assumant des risques au besoin, se gardant toutefois d’initiatives plus spectaculaires qu’utiles. […]

Car la neutralité n’empêche point M. Petitpierre de faire une ­politique «européenne», «fédéraliste», si l’on désigne par fédéralisme le système qui unit et rassemble tout en laissant à chacun des éléments fédérés son caractère et sa personnalité. Tout son effort pour épargner à l’Europe la division dont elle est menacée par l’intégration économique et politique des Six, toute son activité en faveur d’une vaste zone de libre-échange puis, faute de mieux, d’une «association européenne de libre-échange», attestent son constant souci de maintenir une collaboration aussi étendue que possible dans tous les domaines où elle se révèle efficace.

Pour autant, toutefois, M. Petitpierre entend sauvegarder cette indépendance qui permet à la Suisse de rester disponible pour des services ou des tâches qu’on hésiterait à lui demander, à lui confier, si, politiquement parlant, elle était engagée davantage. Il y a dans cette attitude, jugée parfois trop prudente, un sain réalisme puisqu’en fin de compte, l’important reste pour nous de prouver par des actes la valeur de la neutralité.

C’est le grand mérite de M. Petitpierre d’avoir, par cette politique ­active, qui garde pourtant le sens de la mesure et des proportions, consolidé la position de la Suisse dans le monde. […] »

« Avec persévérance, le conseiller fédéral allait de l’avant, assumant des risques au besoin, se gardant toutefois d’initiatives plus spectaculaires qu’utiles »

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