La guerre qui fait rage au Liban depuis plusieurs semaines ne serait pas un conflit international? «C'est un argument tout à fait factice, qui ne tient pas debout juridiquement.» Professeur honoraire à l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève, spécialiste mondialement reconnu du droit international public, ancien juge au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Georges Abi-Saab n'a guère d'hésitations. Le problème, on le sait, c'est que le Conseil fédéral, lui, en a tellement qu'il a demandé un rapport sur la question à Micheline Calmy-Rey pour savoir si oui ou non le droit de la neutralité s'applique au cas précis. Tout dépendra du caractère international ou non de la guerre conduite par l'armée de l'Etat hébreu.

Un seul ou deux Etats?

Les Conventions de Genève et ses Protocoles additionnels, explique en substance Georges Abi-Saab, définissent le conflit armé de caractère non international comme celui qui surgit sur le territoire d'un Etat entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui exercent un certain contrôle sur une partie de son territoire. Dès qu'un autre Etat intervient, et même si le pays agressé n'est pas en mesure de se défendre, le conflit est réputé international. Il n'y a pas, selon Georges Abi-Saab, deux définitions du conflit armé, l'une valable pour le droit international humanitaire, l'autre pour le droit de la neutralité. Le président du CICR, Jakob Kellenberger, a lui aussi affirmé dans la NZZ am Sonntag que les opérations en cours au Liban étaient bien un conflit entre deux Etats.

Le rapport demandé au Département fédéral des affaires étrangères ne sera jamais que le quatrième consacré à la neutralité en moins de quinze ans. La fin de la Guerre froide a amené la Suisse, en effet, à abandonner la pratique de la neutralité intégrale à laquelle elle s'était tenue depuis 1945. Depuis lors, le Conseil fédéral a été contraint de se forger une nouvelle doctrine. Il a dû reconnaître, aussi, que les Conventions de La Haye de 1907 qui définissent la neutralité étaient largement dépassées, les conflits d'aujourd'hui n'ayant plus grand-chose à voir avec les guerres du XIXe siècle.

Il reste que la Suisse n'est pas entièrement libre de déterminer le profil de sa neutralité. Le droit international lui impose certains devoirs si elle veut continuer à être considérée comme neutre: pas d'engagement militaire dans un conflit, pas de soutien militaire à l'un des belligérants. La livraison d'armes par des entreprises privées n'est en principe pas interdite, mais d'éventuelles restrictions doivent être appliquées de manière égale à chacune des parties.

Droit et politique

Le reste ne relève pas du droit, mais de la politique de neutralité et dépend donc de l'idée que s'en fait le Conseil fédéral, voire le parlement. Au surplus, contrairement à une idée largement répandue, la Constitution - l'actuelle (1999) pas plus que les précédentes (1848 et 1874) - ne prescrit pas que la Suisse doit être neutre. Ce que dit en revanche la Constitution, c'est que le Conseil fédéral n'est pas le seul à pouvoir prendre les mesures nécessaires pour préserver la neutralité de la Suisse, mais que le parlement a aussi cette prérogative.

Lors de la guerre du Golfe, en 1991, le Conseil fédéral s'est encore tenu à une interprétation stricte de la neutralité - pas de survol du territoire suisse par les appareils de la coalition -, mais a annoncé une réorientation pour adapter la neutralité de la Suisse au nouveau contexte. C'est l'origine de son rapport de 1993.

Le gouvernement rompait avec sa doctrine antérieure et reconnaissait pour la première fois que le droit de la neutralité ne s'appliquait pas aux sanctions militaires décidées par l'ONU, ces dernières ne pouvant être assimilées à un conflit entre Etats. Dès lors, la Suisse pourrait autoriser le survol de son territoire par des forces armées agissant dans le cadre de la Charte des Nations unies.

L'intervention de l'OTAN au Kosovo, au printemps 1999, allait mettre à l'épreuve ces nouveaux principes. L'OTAN n'avait pu obtenir l'aval formel du Conseil de sécurité, et le Conseil fédéral a donc assez logiquement considéré ces opérations comme une guerre entre Etats, et fermé son espace aérien.

En 2003, l'intervention des Etats-Unis et de ses alliés en Irak laissait, elle, beaucoup moins de place aux doutes: elle n'était pas conforme au droit international. Pas d'avions américains dans le ciel suisse, donc. Et le Conseil fédéral a veillé à ce que des armes exportées depuis la Suisse ne soient pas utilisées dans le conflit. Le gouvernement décidait toutefois que les hostilités pouvaient être considérées comme terminées le 16 avril déjà, et autorisait les ventes des vieux Tiger aux Etats-Unis, avec l'assurance toutefois qu'ils ne serviraient pas en Irak.