Certes, il est peut-être plus facile d'oser quand on est préfet de la Sarine que conseiller fédéral. Nicolas Deiss ne reçoit pas l'argument: «Pascal Couchepin est aussi membre du gouvernement. Or il a le courage de dire des choses impopulaires. Non, même à ce niveau, l'action politique reste tributaire du tempérament.»
Le sien est en passe d'enflammer la Cité des Zaehringen. Le 21 mai, la population du chef-lieu cantonal se prononcera en votation sur un crédit de 35 millions alloué à la construction de la salle de spectacle des Grand-Places. Or le préfet s'est fait le chantre du projet. Qu'il défend avec une verve peu coutumière sur les bords de la Sarine.
Un idéaliste dans les arènes concrètes
«Le temps de la bonne vieille salle de paroisse a vécu. Fribourg a besoin d'une infrastructure culturelle moderne, adaptée aux contingences scéniques et acoustiques de notre époque. Le vide actuel est unique en Suisse. Même des villes comme Berthoud possèdent un théâtre. Avec l'Espace Nuithonie de Villars-sur-Glâne, cette salle de spectacle sera le symbole du développement de notre canton», prophétise-t-il.
Lui, l'idéaliste, est toutefois amené à se battre dans l'arène du concret. Emplacement problématique, esthétisme douteux, coût pharaonique: ses adversaires radicaux et UDC ne lui épargnent aucun détail. Nicolas Deiss accepte le combat, même s'il aimerait porter le débat sur un autre plan: «Cet objet a une valeur symbolique. C'est un vecteur de croissance pour notre ville, au même titre que l'université en fut un jadis.»
S'il est doté d'un naturel optimiste, l'homme ne peut cacher une certaine inquiétude. Bilingue parfait comme son frère et donc sensible à ce qui se passe des deux côtés de la Sarine, il s'effraie de voir son canton devenir un no man's land entre l'Arc lémanique et Berne, ce voisin qui a su empoigner toute une série de réformes pour entrer dans le XXIe siècle. Si ça continue comme cela, a-t-il récemment lancé en public, «Fribourg sera bientôt le désert sans les pyramides».
Un canton à remodeler
Pour éviter un tel scénario, poursuit-il, non content de renforcer l'axe culturel, le canton doit réorganiser son territoire. Malgré des fusions fructueuses, 168 communes, c'est encore beaucoup trop. Nicolas Deiss estime ainsi que pour être viable, une telle entité doit compter au minimum 5000 habitants.
Le préfet de la Sarine a également une autre envie: redessiner les sept districts en trois régions (Sud, Centre, Nord) qui, de ce fait, présenteraient chacune un pôle économique et un espace résidentiel complémentaire. «Il faut mettre les atouts de chaque district en réseau pour les dynamiser. C'est bien beau de dire qu'il fait bon habiter la Glâne, mais de nos jours, ça ne suffit pas…», lance-t-il. Avant d'ajouter: «Ce n'est pas moi, mais le Conseil d'Etat qui devrait tenir ce discours.»
Le bras du Conseil d'Etat
Les réformes, Nicolas Deiss les entreprend au travers de la réalisation de l'agglomération fribourgeoise. Laquelle, si elle avance lentement au gré de certains, a le mérite d'être devenue une réalité politique incontournable.
A ce sujet, il déplore que le canton, comme dans tant d'autres domaines, rechigne à délier les cordons de sa bourse: «La discipline budgétaire, c'est très bien. Fribourg est désormais cité en modèle pour sa gestion des deniers publics. Mais ça n'engendre aucun développement économique. C'est quand même un monde que ce soit les dix communes de l'agglomération qui se préoccupent de former un pôle cantonal fort», s'exclame-t-il.
A 59 ans, le «visionnaire» briguera un troisième mandat à la préfecture de la Sarine, une fonction, si particulière en pays fribourgeois, qui fait de son titulaire le bras du Conseil d'Etat dans les districts, mais surtout le défenseur d'une région qui l'a élu au suffrage populaire.
Le locataire du Schönberg
Cette magistrature donne à cet avocat de formation un sentiment de plénitude. La satisfaction d'être un moteur régional reconnu comme tel par tous les bords politiques. Les critiques le concernant sont en effet rares: on lui reproche tout au plus de parfois laisser trop de latitude à son entourage, quitte à ce qu'il prenne seul certaines décisions. Léger bémol dans un concert de louanges.
Troisième enfant d'une fratrie de quatre (Joseph est le deuxième), Nicolas Deiss est lui-même père d'une fille et d'un fils. Depuis vingt-deux ans, il habite un appartement en location dans le quartier populaire du Schönberg, lieu phare du Fribourg multiculturel où se côtoient émigrés et requérants d'asile en provenance des quatre coins du monde. «Cette diversité est un enrichissement permanent, lance-t-il. Quand je vois une cour d'école totalement blanche, je le regrette pour les enfants. Ils manquent un aspect essentiel de la vie.»