Mobilité
Experte en économie de l’environnement et en mobilité, Nicole Mathys estime que la crise ne changera pas fondamentalement les besoins en mobilité à long terme

La crise mondiale du Covid-19 va-t-elle changer la pratique politique, l’économie, la société, la culture? Nous consacrons une série de près de 30 articles à ce sujet, durant plusieurs jours sur notre site, et dans un numéro spécial le samedi 13 juin.
Retrouvez, au fur et à mesure, les articles dans ce dossier.
Nicole Mathys est professeure ordinaire d’économie à l’Université de Neuchâtel et dirige la section Bases à l’Office fédéral du développement territorial. Elle analyse la mobilité du futur à la lumière de la crise.
Le Temps: La crise du coronavirus a stoppé la mobilité. Sur quels scénarios tablez-vous désormais?
Nicole Mathys: Comme nous travaillons sur des scénarios à long terme, plusieurs composantes, comme la croissance démographique et économique, resteront inchangées. Les expériences faites lors du confinement ne résoudront pas les problèmes relevés précédemment. Il y a eu un fort ralentissement de la mobilité durant cette période. Mais elle va reprendre et nous aurons à nouveau des bouchons, de la pollution, du bruit, des accidents.
Les pronostics de croissance à l’horizon 2040 (25% de passagers et 37% de marchandises en plus par rapport à 2010) sont-ils toujours d’actualité?
Oui, ils seront même revus à la hausse en ce qui concerne le trafic individuel sur les routes, qui s’est révélé plus dynamique que prévu entre 2010 et 2018 (+13%). Nous devons revoir nos scénarios à la lumière de cette évolution et de la politique des transports, qui ne seront pas modifiées par la pandémie. Nous publierons une version actualisée à l’horizon 2050 en automne 2021. La pandémie nous a en revanche contraints de reporter à 2021 le micro-recensement quinquennal sur la mobilité et les transports ainsi que l’enquête sur les préférences de la population en matière d’heure de départ et de choix modal, prévus en 2020.
La pandémie a effectivement augmenté la part de la mobilité individuelle. Certains ont choisi la voiture, d’autres se sont déplacés à pied ou à vélo
Durant la crise, le télétravail a été très utilisé et apprécié. Qu’en restera-t-il?
Le télétravail existait avant le confinement. Il réduit surtout le trafic aux heures de pointe le matin. De nombreuses personnes vont moins souvent à leur lieu de travail. C’est moins marqué le soir, car la surcharge de fin de journée est un mix de pendularité professionnelle et de déplacements de loisirs. L’Université de Bâle a estimé le potentiel du télétravail en Suisse à 41% des emplois en moyenne. Le télétravail va gagner en importance, mais le potentiel restera sous-exploité car les contacts humains directs resteront importants. L’effet ne résoudra pas les problèmes de mobilité à long terme.
La mobilité individuelle va-t-elle prendre le dessus sur les transports collectifs?
La pandémie a effectivement augmenté la part de la mobilité individuelle. Certains ont choisi la voiture, d’autres se sont déplacés à pied ou à vélo. Ce dernier effet confirme la stratégie du DETEC, qui consiste à augmenter la part de la mobilité douce en plus de celle des transports publics. Il faut désormais gérer la crainte que certaines personnes ont de monter dans un bus ou dans un train. Il faudra aussi voir si cette pandémie reste unique ou si de nouveaux virus apparaissent. Dans ce cas, la gestion des transports publics exigera une nouvelle approche.
La promotion du vélo est-elle une réponse à ce problème?
Oui. C’est un défi pour les cantons et aussi pour la Confédération, qui a désormais la compétence de soutenir les infrastructures cyclables. Nous devons travailler de concert pour aménager des voies cyclables rapides et sûres. La loi correspondante est actuellement en consultation.
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Le parlement a voté des dizaines de milliards de francs pour étendre les réseaux ferroviaire et routier. Ces investissements dans le béton sont-ils toujours justifiés?
Ils restent nécessaires, surtout dans l’optique d’une bonne combinaison entre les différents modes de transport. Le béton doit être la solution de dernier recours. Il faut d’abord optimiser les infrastructures existantes en étalant l’utilisation dans le temps et en accordant davantage de place à la mobilité douce. Et il faut privilégier une politique tarifaire efficace. Le DETEC cherche des projets pilotes de mobility pricing dans les cantons. Comme économiste, je pense que les incitations financières fonctionnent.
L’explosion du commerce en ligne accroîtra-t-elle la demande de transport de marchandises?
Comme le télétravail, cette tendance existait avant la pandémie et va perdurer. Les gens s’y sont habitués et continueront de combiner achats physiques et commandes en ligne. Nous n’avons pas encore assez de données pour comprendre l’ampleur du changement et des besoins logistiques.