Jeunes, éduquées, féminines, mais résolument anti-avortement. Elles prônent l’abstinence avant le mariage, préfèrent la complémentarité entre hommes et femmes à l’égalité des sexes et n’hésitent pas à balayer un demi-siècle de lutte féministe au nom de valeurs chrétiennes.

A l’inverse d’une majorité de jeunes femmes de leur âge, elles voteront dimanche prochain pour l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée», qui réclame que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) soit supprimée des soins remboursés par l’assurance maladie de base.

Le texte a peu de chance d’être approuvé, selon les derniers sondages, qui lui accordent 36% d’opinions favorables. Mais il a mis en lumière une minorité réactionnaire qui compte aussi des jeunes femmes dans ses rangs. En France, des femmes de milieux catholiques vêtues de robes blanches se sont rassemblées sous le nom d’Antigones pour s’opposer aux Femen, ces féministes aux seins nus et aux méthodes musclées. A l’heure où, ailleurs en Europe, les conserva­tismes ont le vent en poupe, entre les limitations radicales du droit à l’IVG en Espagne et les manifestations contre le mariage gay en France, quatre d’entre elles ont accepté de témoigner, malgré le tabou qui entoure le sujet.

«C’est une question de conscience. Je ne veux pas cofinancer un acte avec lequel je ne suis pas d’accord», explique d’emblée Laetitia (nom connu de la rédaction), 26 ans. Assise à la table de la cuisine, dans la maison familiale au cœur de la campagne vaudoise, vêtue d’une coquette chemise ­blanche à fleurs, deux perles nacrées aux oreilles, la jeune femme énumère les valeurs qui guident sa vie: «Fidélité, respect, dignité.» La solidarité, principe du financement de l’assurance maladie, n’en fait pas partie: «Il vaut mieux investir de l’argent pour aider les jeunes femmes à garder leur enfant», tranche-t-elle.

Après des études de lettres à l’Université de Lausanne, Laetitia a décidé de se vouer à la défense de ses principes au sein de la fondation chrétienne Le Grain de Blé, qui propose des activités pour les jeunes. Elle rassemble des ­adolescentes de 12 à 18 ans lors de week-ends dans la nature pour lire la Bible, partager des recettes de cuisine, se faire les ongles et, surtout, parler d’amour et de sexualité. Leurs rencontres se prolongent sur la Toile, sur un blog où elles partagent des conseils au quotidien. Son objectif: conduire les jeunes femmes dans le droit chemin, celui de l’abstinence. «J’aimerais encourager les filles à préserver leur corps pour attendre le bon moment», explique Laetitia. Un principe qu’elle observe elle-même, elle qui attend encore de trouver «le bon», tout en rêvant d’une grande famille avec cinq enfants. «Cela sonne comme un conte de fées, mais je crois que toutes les filles qui rêvent du grand amour souhaitent la même chose que moi. Certaines ne veulent juste pas la vie qui va avec.»

«Nous sommes comme des grandes sœurs», explique Deborah, qui accompagne parfois Laetitia dans ses rassemblements de jeunes femmes. La Lausannoise de 25 ans, étudiante en psychomotricité à la Haute Ecole de santé de Genève, résume ainsi leur message: «Etre femme, ni dans la honte, ni dans la séduction, mais dans la dignité. Multiplier les partenaires est une source de stress, entre la peur des MST, celle d’être rejetée ou celle de tomber enceinte.» Deborah prévoit de se marier en automne. D’ici là, le jeune couple qu’elle forme avec son compagnon s’est engagé à l’abstinence.

Les deux jeunes femmes ne se reconnaissent pas dans les luttes féministes qui ont abouti, en Suisse, le 2 juin 2002, à la décriminalisation de l’avortement. «Mai 68 a amené l’émancipation, mais à quel prix? Le féminisme a causé du tort aux relations entre hommes et femmes. Avec l’avortement, les hommes n’ont plus de droits sur leur propre progéniture», affirme Laetitia. «Militer pour sa liberté en sacrifiant le couple et la famille, les enfants qui n’ont pas le droit de naître, c’est égoïste», ­renchérit Deborah. Même si elle admet ne pas bien connaître l’historique des luttes des femmes, elle est convaincue qu’elles ont bouleversé l’ordre naturel des choses: «Les mouvements féministes ont voulu renverser le système et ­prendre le pouvoir. Résultat, elles ont rejeté les pères. Légalement, l’homme n’a pas son mot à dire, et les femmes se retrouvent souvent seules à devoir assumer les conséquences de leurs choix.» L’image que Deborah se fait des candidates à l’avortement est pourtant loin de la figure de femme dominatrice. Vulnérables, en crise, livrées à elles-mêmes, susceptibles de subir la pression de leur entourage… pour elle, les jeunes femmes enceintes sont encouragées à avorter: «Elles ne se donnent plus la liberté d’écouter leur cœur, ni leur instinct.»

Apolitique, Deborah a trouvé dans cette votation une manière d’user de ses droits civiques pour affirmer son désaccord: «L’avortement n’est pas un acquis, contrai­rement à ce que tout le monde ­prétend.» Dans le salon de son appartement, la discussion glisse sur le malaise que la jeune femme perçoit autour d’elle. «L’avortement, c’est la pointe de l’iceberg.» L’iceberg? Un mélange confus entre ­hypersexualisation et perte de repères sociaux dans un monde où l’individu est roi. Un univers brutal, auquel la jeune femme oppose la vie in utero. «Très tôt, l’embryon réagit à la chaleur d’une main posée sur le ventre. Comment peut-on dire que ce n’est qu’un bout de tissu?»

«Avorter, c’est tuer un être, lâche, catégorique, Leila Robert, le regard bleu acier sous ses cheveux en bataille. L’assurance maladie doit exister pour soigner et sauver des vies, pas pour y mettre fin.» A 29 ans, la jeune femme a trois enfants de 6, 4 et 1 an. Elle a quitté Genève pour s’installer avec son mari à Sonvilier, dans le Jura bernois. «Ma dernière grossesse n’était pas prévue. Au début, j’étais mal. Mais j’étais si heureuse à la naissance de ma fille. Le premier trimestre, les femmes sont submergées par leurs émotions, elles n’ont pas conscience que leur corps est fait pour accueillir la vie.»

La jeune femme, enseignante dans une école primaire, partage l’argumentaire classique des anti-IVG. Elle est convaincue que l’interruption de grossesse provoque des désastres sur celles qui le subissent: dépression, déni, souffrance. Elle se renseigne sur Internet, où elle lit des témoignages de médecins ayant pratiqué des avortements avant d’arrêter «par acquit de conscience». Elle qui a traversé une période précaire après la naissance de son premier enfant, à 22 ans, alors qu’elle était encore étudiante, réfute tout devoir de solidarité: «Si une femme veut vraiment avorter, elle trouvera l’argent.» Dans les ­années 1960, raconte-t-elle, alors que l’IVG était encore interdit, sa grand-mère avait tenté de mettre fin à une grossesse en avalant un breuvage abortif. L’opération avait échoué. «Si elle avait pu avorter, ma mère ne serait pas née et moi non plus.»

«Je ne suis pas contre l’IVG, je suis pour les femmes et les enfants», affirme de son côté Laure Damiano, 24 ans, dans un café de Vevey. Avec environ sept interventions pour 1000 femmes de 15 à 44 ans, la Suisse affiche l’un des taux d’avortement les plus bas d’Europe. Peu importe, Laure Damiano est convaincue que les femmes sont encouragées à avorter par le corps médical et elle a fait de la lutte anti-IVG son cheval de bataille. Elle suit une formation pour accompagner des jeunes femmes confrontées à une grossesse non désirée, auprès d’une organisation d’obédience chrétienne évangélique. «Les femmes croient qu’elles ont une cacahuète dans le ventre. Je leur explique que l’embryon a un cœur qui bat au 21e jour.» Une façon de culpabiliser celles qui opteraient pour l’avortement? «Ce n’est que la réalité, rétorque la jeune femme. Il faut humaniser l’embryon, ramener les femmes à leur cœur.»

 

 

 

«Avec l’avortement,les hommes n’ont plus de droits sur leur propre progéniture»