«Nos enfants savent tout. Nous n’avons rien à cacher»

C’est l’histoire de deux hommes, Claudio et Manlio, qui ont trois enfants, de deux mêmes femmes, une mère porteuse et une donneuse d’ovules. Claudio, journaliste italien de 37 ans, est très bavard. Sa voix porte. Installé dans son salon genevois avec vue imprenable sur la ville, il déroule avec passion – et presque sans interruption – son histoire de famille atypique, pendant que le cadet, Bartolomeo, un angelot blond à croquer, vient le déranger en brandissant deux figurines de Tortues Ninja sous son nez. Claudio, polo, jeans et baskets blanches, est en couple depuis dix-sept ans avec Manlio, qui travaille dans une multinationale à Genève. Il a toujours su qu’un jour il serait père. «Mais l’idée d’«acheter» un enfant à une femme me gênait, explique-t-il. Quand j’ai compris que deux femmes étaient sollicitées, l’une pour donner ses ovules, l’autre pour prêter son ventre, et qu’une mère ne devait donc pas donner son enfant, cela m’a paru possible. Nous nous sommes alors lancés dans l’aventure.»

Direction les Etats-Unis, et plus spécifiquement la Californie, où la pratique est légale. Ils passent par Growing Generations, une agence de Los Angeles, remplissent les formulaires nécessaires, font la connaissance de Tara, une jeune mère de famille – c’est une condition – de l’Ohio, qui n’était pas dans le besoin. «Il était pour nous important de comprendre sa motivation. Tara, déjà sensible à la cause homosexuelle car elle avait une sœur lesbienne, nous a dit qu’elle faisait cela par altruisme. Elle voulait permettre à des gens dans l’impossibilité d’être parents de le devenir», explique Claudio. «Son but était aussi de pouvoir prendre une année de congé pour s’occuper de ses propres enfants, qui avaient à l’époque 3 et 4 ans.» De cette aventure naissent des jumelles, Clelia et Maddalena.

Quelques années après, le couple songe à avoir un troisième enfant. «Notre condition était que la mère porteuse et la donneuse d’ovules, que nous avions réussi à contacter, soient les deux d’accord de retenter l’expérience. Sinon, nous aurions renoncé.» Les femmes ont accepté. Bartolomeo est né quelques mois plus tard. Manlio est son père biologique, tandis que Claudio est celui des jumelles.

Parce que chacun voulait à tout prix se reconnaître dans un enfant? «Pas du tout. Pour nous, la filiation biologique n’est pas importante. Nous aurions adopté si nous avions eu le droit de le faire. Mais pour nous, la seule possibilité de devenir pères était de recourir à la gestation pour autrui», commente Claudio. «Nous voulions juste qu’en cas de problème, Manlio ne soit pas séparé de ses trois enfants et puisse exercer des droits.» Une volonté, donc, d’avoir une situation juridique équilibrée entre les deux.

En Italie, où ils étaient rentrés après les Etats-Unis, leur situation juridique était complexe, insatisfaisante. «Aux Etats-Unis, l’abandon officiel d’un enfant par sa mère à la naissance est reconnu, et nous avions donc nos deux noms sur le certificat de naissance. Il suffisait d’aller chez le juge pour cela. Il a étudié nos dossiers, puis demandé à l’hôpital de nous déclarer parents sur le certificat. Mais en Italie, seul le père biologique est reconnu; l’autre n’est rien.» Arrivés en Suisse, Claudio et Manlio ont conclu un partenariat enregistré. Une situation préférable pour les enfants, «même si l’adoption de l’enfant de son concubin de même sexe n’est pas encore autorisée».

«Privilège pour riches»

Claudio raconte son histoire des étoiles plein les yeux, pendant que la nounou habille Bartolomeo pour le sortir. Il en a d’ailleurs fait un livre*, réédité récemment et dédié à la mère porteuse. Tara fait vraiment partie de la famille, dit-il. Elle est considérée comme une «tante». «Nous avons beaucoup de contacts, des liens incroyables. Avec la donneuse d’ovules, qui était, au départ, anonyme aussi. Nos enfants savent tout [les jumelles ont aujourd’hui six ans, Bartolomeo deux ans et demi]. Nous n’avons rien à cacher. Pour nous, il était important qu’ils connaissent leurs origines, et surtout qu’ils aient un lien biologique entre eux. Face à ceux qui pourraient leur poser des questions, ils doivent pouvoir dire qu’ils sont vraiment frère et sœurs.»

Claudio et Manlio ont été jusqu’à entrer en contact avec un couple d’Australiens, qui a pu avoir des jumeaux grâce à la même donneuse d’ovules. Des garçons qui sont donc les demi-frères de leurs enfants. «Oui, je sais, cela devient compliqué! Nous sommes une grande famille», s’exclame Claudio en riant.

Le journaliste ne fait pas l’apologie des mères porteuses pour autant, même s’il se dit «révolté» que ce «privilège ne profite en fait qu’aux riches». Il est conscient que certains cas sont sordides, douteux, proches de l’exploitation. Il avoue qu’il aurait été mal à l’aise s’ils n’avaient, par exemple, eu que la possibilité de recourir à des Ukrainiennes en situation de précarité. «Notre désir d’enfant était grand, mais je crois que nous y aurions renoncé dans de telles conditions. Aux Etats-Unis, tout a été fait de manière très propre. Les papiers sont préparés à l’avance, tout est parfaitement légal, encadré.»

Limites indiennes

Il pointe du doigt, en passant, l’attitude de l’Inde: «Les Indiens ont posé des limites en décembre 2012 à la gestation pour autrui, en exigeant des certificats médicaux et en l’interdisant aux couples homosexuels. Ils font semblant d’encadrer le phénomène, avec des motivations homophobes et diplomatiques. Mais rien n’a été fait au niveau des mères porteuses elles-mêmes, pour s’assurer qu’elles ne sont pas exploitées.»

Passons à la question taboue, celles des coûts. Claudio nous fixe avec ses grands yeux verts. Recourir à une mère porteuse représente environ 20 000 dollars, et un don d’ovules 5000 dollars, lance-t-il. Des coûts auxquels s’ajoutent les frais d’assurance et les différents déplacements aux Etats-Unis, pour donner le sperme et entreprendre les démarches, puis à la naissance de l’enfant. Claudio: «Je n’ai pas envie d’être plus précis. Je ne voudrais pas que mes enfants puissent un jour, en lisant le journal, penser qu’ils ont un prix. Ce serait choquant, non?»

* Hello Daddy! de Claudio Rossi Marcelli, Editions Slatkine, 2013.