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Le nouveau droit du bail suscite des craintes

Un oui du peuple le 8 février découplerait enfin les loyers des taux hypothécaires. Un progrès dont le prix est toutefois jugé trop élevé par l'Asloca comme par les milieux immobiliers romands. En revanche, outre-Sarine, les propriétaires sont clairement pour la réforme

Un oui du peuple au nouveau droit du bail le 8 février mettrait fin au couplage tant décrié des loyers à l'évolution des taux hypothécaires. Aux hausses de loyers abruptes, rapprochées et concentrées sur les périodes d'envolée des taux succéderait un régime plus fluide. Les loyers seraient adaptés avec une régularité métronomique une fois par an, en suivant le rythme de l'inflation.

Sous l'empire du nouveau droit, un loyer de 1500 francs aurait subi une modeste adaptation d'une dizaine de francs au 1er janvier. Mais il est vrai que le renchérissement est actuellement très bas. A un niveau de 2%, l'augmentation porterait déjà sur une trentaine de francs.

A priori, le locataire sortirait toutefois plutôt gagnant de cette réforme. Entre 1980 et 2000, le niveau général des prix a augmenté beaucoup moins vite (+70%) que les loyers (+106%) selon des chiffres de l'Association suisse des locataires (Asloca). A noter toutefois que le système actuel permettait de contenir l'évolution de son loyer à un niveau inférieur à l'inflation (+52% sur 20 ans). Mais cela supposait – ce qu'une très faible minorité de locataires font – de faire valoir systématiquement ses droits à une baisse de loyer après une diminution de taux hypothécaire.

On en viendrait presque à se demander pourquoi l'Asloca a attaqué la réforme en référendum. Première critique majeure: comme les loyers sont une composante primordiale de l'indice des prix à la consommation (dont ils représentent 22%), une hausse des loyers entraînerait une accélération de l'inflation qui serait elle-même à l'origine d'une nouvelle hausse de loyers et ainsi de suite. Pour éviter cette «spirale d'explosion des loyers», les relais de l'Asloca au parlement avaient proposé en vain – avec le soutien du Conseil fédéral – que l'indexation des loyers soit limitée à 80% du renchérissement chaque année.

La notion d'«abus» contestée

Mais qu'elle soit pleine ou entière, la compensation du renchérissement n'en constitue pas moins une contrainte véritable pour le propriétaire. Si ses coûts augmentent plus vite que le renchérissement – ce qui est imaginable en période de forte hausse des taux hypothécaires par exemple –, il pourrait se voir confronté à une baisse notable de son rendement, voire à des pertes. Pour les propriétaires, il est donc essentiel de garder une large marge de manœuvre dans la fixation du loyer initial.

En la matière, l'Asloca estime que le parlement a fait trop de concessions. Est en cause en particulier la manière dont a été redéfinie la notion de loyer «abusif». Jusqu'ici, suite à une contestation du locataire, un propriétaire devait pouvoir démontrer qu'il ne réalise pas un rendement «excessif» ou se basant sur un prix d'achat «exagéré» (autrement dit spéculatif) de l'objet. Or, la jurisprudence a dicté des règles à la fois restrictives et complexes en la matière qui, selon l'Asloca, encourageaient fortement le propriétaire à éviter une contestation du locataire et le poussait donc «naturellement» à modérer ses appétits.

Dans le nouveau système serait considéré comme abusif tout loyer qui dépasse de plus de 15% la moyenne des objets comparables sur le marché. Or, selon l'Asloca, 97,5% des objets actuellement loués recèleraient un potentiel de hausse de loyer avec cette définition. L'encouragement à augmenter le loyer pour s'approcher du seuil serait particulièrement fort pour les vieux objets, souvent bon marché dans le système actuel interdisant les rendements «excessifs». Le président de l'Asloca, Michel Bise, a fait le test avec le vieux 4 pièces que sa mère loue à Peseux. Résultat: son propriétaire pourrait «doubler le loyer» en toute légalité lors d'un changement de locataire. Le système est doublement pervers car le fait d'augmenter un loyer conduit à augmenter le prix moyen du marché et donc à repousser vers le haut le seuil de l'abus, déclenchant ainsi un nouvel effet en spirale, estime l'Asloca.

Détail piquant: cette manière de définir l'abus suscite des craintes exactement inverses chez les milieux immobiliers romands. Le fait que les loyers moyens seraient calculés de manière non transparente par l'administration leur fait redouter que l'on ne débouche sur des loyers «politiques», artificiellement bas. Leur deuxième réserve concerne les dispositions transitoires de la réforme. Les propriétaires devront en quelque sorte mettre les compteurs à zéro au moment du passage au nouveau droit en accordant les baisses de loyers exigibles à ce moment sur la base du niveau des taux hypothécaires. Mais ils ne pourront pas faire valoir les éléments compensatoires habituellement avancés, comme l'augmentation de leurs charges. Or, le potentiel de baisse des loyers est certainement non négligeable vu le très bas niveau actuel des taux hypothécaires.

Ce double front d'opposition en Suisse romande (outre-Sarine les propriétaires sont clairement pour la réforme) compliquera la tâche de Joseph Deiss dans la campagne de votation. Mais peut-être est-elle aussi une chance pour le ministre de l'Economie: elle permet de conforter l'idée que les peurs des uns et des autres sont également infondées et que la réforme est somme toute assez équilibrée.