Le résultat a été sans appel: l’initiative «No Billag», qui voulait supprimer toute redevance radio-TV – celle qui assure trois quarts des recettes de la SSR –, a été balayée par près de 72% des votants.

Pourtant, son patron, Gilles Marchand, a été loin de pavoiser lors de son point de presse. Il a surtout paru très soulagé. Voici six mois, un tel résultat en faveur du service public aurait paru impensable après de premiers sondages qui donnaient le oui à l’initiative en tête.

Pas d’euphorie, malgré la clarté du résultat

Si le scénario catastrophe du démantèlement a été écarté, personne n’a sauté de joie ce dimanche sur le coup de 12h30 lors de la première projection de la SSR au quartier général des détracteurs de l’initiative. Un poing levé par-ci, quelques accolades par-là, mais pas d’euphorie malgré la clarté du résultat.

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Tout le monde s’accordait à souligner le triomphe d’une Suisse unie dans sa diversité médiatique et son plurilinguisme. «Je suis fier d’un pays si soucieux de ses minorités, non seulement sur le plan des langues, mais aussi à l’échelon sociétal en faveur des mal-entendants», a déclaré Martin Candinas (PDC/GR). De leur côté, les perdants tentaient de tirer les aspects positifs de l’initiative: «Notre démarche a permis de briser un tabou, celui de la redevance et de son prix», a noté Olivier Kessler, membre du comité d’initiative.

Le mérite des initiants

C’est là tout le mérite des initiants, il faut le reconnaître. Sentant le danger d’une initiative récoltant son lot de sympathies en début de campagne, la ministre de la Communication, Doris Leuthard – au nom du Conseil fédéral –, a très vite annoncé que le montant de la redevance baisserait de 451 à 365 francs par an et par ménage dès 2019. Un franc par jour pour le service public: cette stratégie politique s’est avérée gagnante, mais elle oblige la SSR à enclencher sans tarder un processus de réforme.

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Ce résultat nous engage au changement permanent pour répondre aux attentes de la population

Gilles Marchand, directeur de la SSR

C’est aussi le message que Gilles Marchand a fait passer une fois les résultats connus. «Ce dimanche 4 mars restera comme une date charnière dans l’histoire de la SSR. Il nous engage au changement permanent pour répondre aux attentes de la population», a souligné son patron.

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La toute première mesure consiste en un plan d’efficience de 100 millions de francs. Il s’agit là d’économies pour 80 millions et de réinvestissements pour 20 millions en faveur de l’information, de productions culturelles comme les séries suisses et de l’adaptation de l’offre numérique. Reste à savoir où couper. «Nous allons porter l’accent sur les infrastructures et les processus de production, de manière à toucher le moins possible les programmes», a déclaré Gilles Marchand. Celui-ci ne l’a cependant pas caché: «Il y aura des conséquences sociales», a-t-il déclaré sans se faire plus précis.

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C’est un pas dans la bonne direction. La SSR donne des signaux selon lesquels elle entend modérer ses appétits commerciaux

Christine Gabella, secrétaire générale de Médias Suisses

Rappelons que lorsque le Tribunal fédéral avait, dans un arrêt prononcé en avril 2015, décrété que la redevance n’était plus soumise à la TVA, la SSR avait dû supprimer 270 postes pour économiser quelque 50 millions de francs.

Marchand le pacificateur

Pour le reste, Gilles Marchand s’est affiché en rassembleur et en pacificateur. Il veut définitivement enterrer la hache de guerre avec les éditeurs privés. Dans un passé récent, son prédécesseur, Roger de Weck, et le patron de Tamedia, Pietro Supino, s’étaient livré une guéguerre parfois hystérique à propos de la place de la SSR sur Internet. Cette époque est révolue. «Nous ne sommes plus dans une logique de rapports de force. Je veux renforcer les collaborations avec les privés», a souligné Gilles Marchand. Celui-ci a fait deux promesses qui relèvent de l’autorégulation: «La SSR prend acte du maintien de l’interdiction de la publicité en ligne et ne proposera pas de publicité ciblée au niveau régional», même si on devait l’y autoriser un jour.

Cet engagement a été accueilli favorablement par les éditeurs. «C’est un pas dans la bonne direction. La SSR donne des signaux selon lesquels elle entend modérer ses appétits commerciaux», note avec satisfaction Christine Gabella, la secrétaire générale de l’association romande Médias Suisses.

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Dans le même esprit, Gilles Marchand n’exclut pas de quitter le capital de la coentreprise Admeira pour l’acquisition de publicité, pour autant que cela soit compatible avec les intérêts de cette régie. L’an dernier, il avait mené des négociations assez avancées avec le groupe Tamedia, qui au dernier moment a préféré jouer sa propre carte et acquérir le groupe Goldbach. Cette option étant écartée, il tend la main à d’autres groupes qui pourraient acheter les parts de la SSR, par exemple celui de la NZZ ou d’AZ Medien. Le patron de la SSR l’a toujours dit: «Il faut créer un pôle d’acteurs suisses face aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon, ndlr) et à leur diktat sur le marché de la publicité.»

La SSR reste sous forte pression politique

La SSR est aussi prête à rester fidèle à l’Agence télégraphique suisse (ATS). Non seulement en renouvelant le contrat – portant sur environ 5 millions – qui la lie avec elle sans le revoir à la baisse, mais en restant ouverte à un plus large soutien de l’agence à travers la future redevance. Etant donné que le Conseil fédéral a plafonné les recettes destinées à la SSR à 1,2 milliard de francs, il pourrait affecter à l’ATS une éventuelle hausse des rentrées due à l’augmentation de la population suisse.

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Cette redevance restera un immense champ de bataille à l’avenir. Sur le plan politique, l’UDC a déposé deux initiatives parlementaires, l’une pour réduire son montant à 300 francs et l’autre pour en exonérer les entreprises. En conférence de presse, Doris Leuthard est restée ouverte sur la première proposition, tandis qu’elle a rejeté la deuxième, sur laquelle le peuple a voté en 2015.

D’autre part, l’un des responsables des radios et TV privées, André Moesch, a revendiqué une quote-part plus importante de la redevance, à savoir 10% au lieu des 5% actuellement. C’est dire que si la SSR a remporté une victoire d’étape ce dimanche, elle restera sous forte pression à l’avenir.