Enseignement
Emanant de parents d’élèves, d’enseignants, de logopédistes ou encore de politiques, les critiques se multiplient à l’encontre de l’utilisation des outils numériques dans l’enseignement

Alors même que le numérique a le vent en poupe, les résistances sont fortes en Suisse romande. Parmi les craintes évoquées par les enseignants, parents d’élèves, logopédistes ou encore politiques: l’addiction aux écrans, le coût économique et écologique, l’omniprésence des GAFAM et l’obsolescence programmée.
A Genève, le collectif RUNE (Réfléchissons à l’usage du numérique et des écrans) a déposé, au mois de mai, une pétition au Grand Conseil pour demander un moratoire sur l’enseignement par le numérique au primaire, avec le soutien de l’Association des logopédistes indépendants de Genève. Se défendant de toute «technophobie», le RUNE, qui réunit parents, enseignants ou encore informaticiens, reste critique sur l’usage des outils en ligne. «Avant de foncer tête baissée, il faut se demander quelle est la véritable plus-value du numérique dans l’enseignement, une pesée d’intérêts entre risques, coûts et bénéfices est indispensable», juge la porte-parole Anne-Marie Cruz. Si elle reconnaît que l’Etat a un rôle à jouer dans la formation critique des élèves vis-à-vis du numérique, elle craint les conséquences d’une surexposition aux écrans: problèmes oculaires ou de concentration, effet nocif des ondes ou encore perturbateurs endocriniens. Sans parler de l’aspect énergivore d’un tel projet et de ses coûts: «A qui profite l’équipement des écoles primaires en tableau blanc interactif, wifi, robots ou tablettes?»
«Fétichisme technophile»
Sur le plan politique, le député PLR Jean Romain, ancien professeur au collège, se montre lui aussi critique, à l’image de la majorité du Grand Conseil. «Quand on voit qu’il y a 17% d’illettrés qui sortent du cycle d’orientation, il y a des urgences autrement plus importantes que l’introduction du numérique qui ne se justifie de surcroît pas dans toutes les branches», estime-t-il.
Lire aussi: L’école romande amorce sa mue numérique
Non loin de là, la Société vaudoise des maîtres du secondaire (SVMS) s’oppose au projet mené par Cesla Amarelle doté d’une enveloppe budgétaire de 30 millions de francs. «Dans son projet, le DIP élude des questions essentielles de santé, de durabilité, de dépendance aux géants de la tech», estime le président de la SVMS Gilles Pierrehumbert, déplorant «l’incitation générale à utiliser le numérique partout et tout le temps». L’enseignant dénonce un «fétichisme technophile» qui laisse entendre que le numérique va résoudre des problèmes auxquels l’école est confrontée depuis toujours. «C’est de la poudre aux yeux!»
La pandémie n’a-t-elle pas montré le manque de préparation de l’école en matière de numérique? Pour Gilles Pierrehumbert, il s’agit d’un faux procès. S’il reconnaît l’utilité de certains outils qui facilitent la communication entre l’école et les familles, il prône de nouveau la modération. «Attention à ne pas multiplier les ressources sur des plateformes au détriment du travail fourni dans les classes.»
«Courage politique»
Vu les enjeux, le syndicat souhaite que la population vaudoise puisse se prononcer. «Ce serait une preuve de courage politique», estime Gilles Pierrehumbert, qui réfléchit encore à la manière de formuler cette demande. «Nous sommes en contact avec d’autres organisations d’enseignants, dans le canton de Vaud et ailleurs afin de lancer une discussion à l’échelle romande.»
S’il juge lui aussi que le sens de l’usage du numérique doit être questionné, Julien Eggenberger, député socialiste, enseignant et président du SSP Vaud, juge le projet vaudois plutôt équilibré en comparaison à d’autres. «Il y a une légitimité à prodiguer une éducation au numérique, on ne peut pas nier la société dans laquelle on vit, avance-t-il. Il faut aussi profiter des nouveaux outils lorsqu’ils sont pertinents.» Ses réticences touchent davantage à la protection des données. «Le système informatique est fourni par Microsoft, si l’entreprise fait cela gratuitement, elle a forcément un intérêt, estime-t-il. Même si le département assure que les données sont stockées en Suisse, cela pose des questions.»