Matthias Bölke, 54 ans, dirige 1000 employés en Suisse et supervise deux sites de production dont le principal, la société Feller rachetée à Horgen (ZH) par Schneider Electric, fabrique des équipements électriques. Responsable des filiales suisse et autrichienne du groupe technologique français Schneider Electric, spécialisé dans la gestion de l’énergie et de l’automation, c’est l’un des grands patrons qui s’engage publiquement en faveur de l’initiative «économie verte» soumise en votation populaire le 25 septembre.

L’objectif fixé par le texte est de parvenir d’ici à 2050 à réduire de 65% l’empreinte écologique de la population suisse en agissant sur les économies d’énergie, les émissions de CO2 et le recyclage des déchets. Le principe consiste à ne consommer, en Suisse, directement et par nos importations, pas plus qu’un équivalent planète au lieu de 2,8, soit, proportionnellement, pas plus que ce que la terre produit.

Lire aussi: L’initiative «économie verte» en 10 questions

Cet objectif est-il utopique et dangereux pour la compétitivité du pays, comme le prétendent les associations faîtières économiques, notamment Swissmem dans la métallurgie, ou la fédération des entreprises Economiesuisse? «Ces craintes sont mal fondées et pas basées sur des faits car on va assister à un développement technologique incroyable en grande partie grâce à la numérisation. C’est un mouvement exponentiel qui va, au cours des 33 ans à venir, changer drastiquement nos méthodes de production et notre manière d’utiliser l’énergie et nos ressources», souligne Matthias Bölke.

Vers l’industrie 4.0

Le mot-clé est industrie 4.0, soit la numérisation, la robotisation, et l’interconnexion de systèmes intelligents. «Mon objectif, sur le site de Horgen au bord du lac de Zurich, est d’augmenter chaque année la productivité selon un plan précis, souligne le patron. La robotisation peut conduire, par exemple, à la suppression des déchets de production. C’est le cas avec la nouvelle chaîne de production mise en place. Aujourd’hui, cette installation «intelligente» parvient à intégrer l’expérience acquise durant le processus de fabrication et adapte seule différents paramètres. Résultat: nous n’avons plus de déchets du tout sur cette chaîne. L’augmentation constante de la productivité constitue un argument fort pour le maintien de ce site de production en Suisse».

L’arrivée du big data dans la gestion de l’énergie va permettre des économies substantielles.

Matthias Bölke cite également des exemples dans la gestion de l’énergie. «Auparavant, nous étions uniquement capables de mesurer le flux de courant au départ et à l’arrivée. Aujourd’hui, en plaçant une puce dans des équipements le long de la chaîne de flux de courant, il est possible de récolter des données et de détecter immédiatement une surconsommation anormale d’un maillon de la chaîne. L’arrivée du big data dans la gestion de l’énergie va permettre des économies substantielles car cela donne, en temps réel, un reflet de l’état des systèmes».

Un autre secteur de forte réduction de l’empreinte écologique est le bâtiment. «Un bâtiment coûte 30% à la construction et 70% à l’utilisation et à l’entretien. On peut gagner énormément en gérant la consommation d’énergie de manière intelligente et partiellement automatique, tout en augmentant nettement le confort et les services offerts dans les bâtiments», explique Matthias Bölke.

Ambition justifiée

L’objectif de diminuer de 65% l’empreinte écologique en Suisse d’ici 2050 paraît ambitieux, selon le patron, qui considère cet objectif comme un bon moyen d’amener davantage d’innovations en Suisse et de stimuler les exportations. «Il est déjà possible aujourd’hui, en utilisant les nouvelles techniques, de réduire la consommation électrique de 60% dans des centres de données, constate-t-il. Un bâtiment dit intelligent, doté de davantage de confort et de services, consomme de 40 à 60% moins d’énergie».

Lire aussi: L’initiative pour une économie verte expliquée en 3 minutes

Si les progrès technologiques sont si fulgurants, les contraintes de l’initiative «économie verte», en particulier la possibilité donnée au Conseil fédéral d’intervenir dans les processus de production ou le recyclage des déchets, sont-elles vraiment nécessaires? «Effectivement, on pourrait se dire que la réduction de l’empreinte écologique, favorisée par la numérisation, est inéluctable et ainsi voter non à cette initiative, souligne Matthias Bölke. Mais je pense qu’il faut accélérer le mouvement et fixer un cadre et des objectifs. L’intervention possible du Conseil fédéral n’est pas une nouveauté puisque la régulation dans les domaines de l’eau, de l’air et des déchets a amélioré la qualité de vie et positionné la Suisse parmi les meilleurs.»

Prime à l’exportation

Matthias Bölke constate également que «de nombreux Etats, et en premier lieu l’industrie internationale, ont compris que développement durable et économie rentable ne sont pas antinomiques. Les entreprises dites vertes se retrouvent de plus en plus dans le peloton de tête au plan international. Je suis fermement opposé à un système de sanctions. Il s’agit d’aider l’économie et la population à réduire leur empreinte écologique, et d'éviter que seul le marché à court terme dicte tout».

Le patron de la filiale suisse de Schneider Electric ne craint pas une perte de compétitivité du pays si l’initiative était acceptée. «Si elle s’engage dans l’économie verte, la Suisse, dont la réputation de qualité et de sérieux n’est plus à faire, bénéficiera au contraire d’une prime à l’exportation grâce à la durabilité de ses produits. Chez Schneider Electric par exemple, les nouveaux produits basés sur l’économie verte dégagent une marge bénéficiaire supérieure aux anciens produits.»