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Il y a le logo du Temps et dessous, écrit en gros caractères, ce message: «Le retour à la normalité passe par un NON le 28 novembre.» Si cette affichette circulant sur les réseaux sociaux peut sembler officielle, elle ne l’est pas. La rédaction n’a jamais réalisé, imprimé ou diffusé cette manchette. C’est pourquoi vous ne la trouverez pas présentée devant les kiosques à journaux du pays.

Elle est le fruit de l’imagination d’opposants à la loi covid soumise à la votation populaire, ce dimanche. Une loi que Le Temps qualifie d’ailleurs d'«essentielle pour l’avenir social, sanitaire et économique du pays» dans un éditorial publié le 18 novembre dernier.

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Ce n’est pas la première fois qu’un titre de presse suisse est victime d’usurpation d’identité pour nourrir une campagne politique. Le 9 novembre 2020, le comité de l’initiative pour des multinationales responsables avait distribué des tout-ménages en utilisant des interviews de l’ancien conseiller aux Etats Dick Marty publiées le 23 octobre dans le magazine Schweizer Illustrierte et le 25 octobre dans le journal Le Matin Dimanche, tout en affichant l’identité visuelle et les logos de ces titres. Le groupe Tamedia avait alors protesté.

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Les adversaires de la loi covid ne lésinent pas sur les moyens pour se faire entendre. Ils disposent de centaines de milliers de francs, voire plusieurs millions selon le comité, et ils regorgent d’imagination pour véhiculer leur message. Ainsi, ce matin, le journal gratuit 20 Minutes arbore une Une publicitaire sur laquelle figurent six personnes se présentant comme des artistes, et qui se positionnent contre la loi covid.

Cette semaine aussi, des milliers de brochures affirmant que «45% des lits ont été supprimés aux soins intensifs depuis 18 mois» ont été distribuées dans plusieurs gares de Suisse romande, note Blick. Une information volontairement déformée, car comme l’écrivait 20 Minutes le 27 août, si le nombre de lits en soins intensifs a effectivement diminué, c’est parce que le Service sanitaire coordonné de l’armée l’avait augmenté en urgence au début de la crise sanitaire.

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Comme le remarque Blick, ce n’est pas la seule information biaisée figurant sur ce dépliant. Ainsi il cite cette petite phrase de la conseillère nationale (PS) Franziska Roth: «Une telle atteinte aux droits fondamentaux ne se justifie plus.» Contactée par le média romand, la politique réfute cependant «toute affiliation ou sympathie envers le groupe.», précisant que sa citation «est utilisée à tort, sans son aval. Et qui plus est sortie de son contexte initial, qui était celui de l’idée – non-concrétisée – d’un certificat combiné avec des tests payants.»

Les opposants à la loi covid prêchent le vrai et le faux pour se faire entendre. Et mangent à tous les râteliers pour tantôt convaincre avec des arguments, tantôt persuader avec des émotions. A l’instar de cette vidéo qui circule sur les réseaux sociaux et déclare qu’«à cause du certificat sanitaire […] des mamans ne peuvent pas voir leurs enfants lorsqu’elles accouchent à la maternité.» Une fausse information relayée depuis fin octobre qui, avant d’être généralisée à l’ensemble des maternités du pays, visait l’hôpital cantonal de Lucerne.

La rumeur a pris une telle ampleur que l’établissement a été obligé d’ajouter cette question à la foire aux questions (ou FAQ) de son site internet. «Si vous n’avez pas été vaccinée, un test SARS-CoV-2 sera réalisé à l’admission» et si le Covid-19 est suspecté ou confirmé, l’hôpital mettra alors en place «un isolement mutuel en salle. Cela sera discuté avec vous individuellement, en fonction de votre état de santé.»

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Les réseaux sociaux sont des terreaux particulièrement fertiles pour répandre une opinion contestataire. Les opposants à la loi covid les utilisent à outrance pour relayer des arguments publiés sur les sites internet des comités – les Amis de la Constitution, Santé et Liberté, Réseau choix vaccinal ou MASS-VOLL, des billets de blogs de partisans, de faux articles de conspirationnistes, de vrais articles de presse allant dans le sens de leur contestation, ou encore des montages photos et vidéos. Sur Telegram, les groupes les plus actifs comme Uncut News ou Global Patriots publient des dizaines de messages par jour.

Le camp du «oui» s’est timidement réveillé le mois dernier. Comme le relaye la NZZ, l’association suisse des libres penseurs (ou Freidenker-Vereinigung der Schweiz) a lancé une campagne humoristique sur les réseaux sociaux qui s’est étendue sur «plus d’une centaine d’affiches en Suisse alémanique et dans des annonces de journaux.» Sur ces dessins, un personnage vêtu d’un pantalon aux motifs edelweiss et d’un t-shirt blanc estampillé «freiheitsimpfler» – «imposteur de liberté» en français – porte deux toupins dont les battants ont été remplacés par des seringues. Une caricature des Freiheitstrychler, ou sonneurs de cloches de la liberté.

Les canaux de communication plus traditionnels ne sont pas en reste. La campagne du «non» est omniprésente, elle occupe de loin un terrain bien plus vaste que la campagne du «oui.» Dans les journaux, les espaces publicitaires commandés par les deux camps ont été analysés par les politologues à l’Université de Berne, Marc Bühlmann et Anja Heidelberger. Sur une période de huit semaines, ils ont recensé 209 annonces contre la loi covid et seulement 22 en sa faveur.

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Les adversaires de cette loi se sont également emparés de l’espace public: panneaux publicitaires dans la rue, affiches de soutien placardées sur la devanture d’un magasin, autocollants sur la vitre d’une voiture ou d’un bus, drapeaux accolés au balcon d’un appartement, sweat-shirts à capuche sur le dos d’un passant, tout-ménages glissé dans la boîte aux lettres, dépliants déposés dans les rames de train ou banderoles brandies par des manifestants…

Car des rassemblements de citoyens et citoyennes opposés à la loi covid et au certificat covid sont organisés depuis plusieurs mois, chaque semaine, dans plusieurs villes du pays. Ces mouvements sociaux sont bien souvent autorisés et bénéficient par la suite d’une couverture médiatique. En démocratie, chacune et chacun est libre de ses opinions et de les défendre. En revanche, le débat démocratique ne peut avoir lieu qu’en s’accordant sur des faits.