La préférence indigène à l’embauche promet d’être un parfait raté. Selon une enquête de la SonntagsZeitung parue dimanche, les Offices régionaux de placement (ORP) ne seront pas en mesure, au début de l’année prochaine, de répondre aux exigences que cette mise en œuvre requiert.

Trois ans après l’acceptation par le peuple de l’initiative «contre l’immigration de masse», le parlement a accouché d’une solution en décembre dernier. Les contours du règlement sont désormais posés. Les employeurs dont le secteur d’activité affiche un taux de chômage d’au moins 5% devront communiquer leurs postes vacants aux ORP. Ceux-ci auront ensuite trois jours pour proposer des candidats dont le profil correspond aux demandes. Sur le papier, c’est une affaire qui roule.

Sans outil informatique, les ORP travailleront manuellement

Mais il y a un hic, il est informatique. En effet, les logiciels des ORP sont inadéquats. Leurs programmes automatisés ne sont pas capables d’aller chercher, grâce à des mots clés, les bonnes candidatures. Difficile dès lors d’obtenir la correspondance précise entre les profils et les emplois annoncés. Pour y parvenir, il faudrait que les employés des ORP se chargent manuellement de chercher les similitudes entre l’offre et la demande. Ce qui implique un besoin en personnel accru. D’autant plus que la charge de travail augmentera de toute manière, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) s’est déjà chargé de l’estimer: ce sont 218 000 emplois par an qui devraient être signalés par les entreprises aux ORP, soit 180 000 de plus qu’elles n’en ont annoncé volontairement en 2016.

Il faudrait créer pour cela 270 nouveaux emplois, mais ce ne sera pas suffisant pour viser l’efficacité. Ce qui fait dire à Bruno Sauter, président de l’Association des Offices suisses du travail et chef de l’Office de l’économie et du travail du canton de Zurich, à la SonntagsZeitung: «Pour la quantité de dossiers et le court délai imparti, le système informatique actuel est inefficace.»

Mauro Poggia: «une usine à gaz!»

Il en est un auquel ce problème n’a pas échappé: le conseiller d’Etat genevois MCG Mauro Poggia, dont la préférence indigène est le cheval de bataille. Dans un canton où la présence de 85 000 frontaliers actifs en agace plus d’un et à quelques mois des élections au Conseil d’Etat, la mise en œuvre de cette initiative s’avère cruciale. Il y a quelques semaines, il rencontrait à Berne le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann et des représentants du Seco, chargés des solutions informatiques nationales, pour aborder précisément ce problème.

«On nous dit qu’un nouveau logiciel ne sera pas prêt avant 2020! L’administration a trop attendu, victime d’un fonctionnement technocratique et bureaucratique qui produit en l’espèce une usine à gaz.» Le journal dominical rapporte d’ailleurs que le thème, au Seco, rend nerveux. Un groupe de travail incluant les ORP serait actuellement à l’œuvre et une solution partielle pourrait être présentée cet automne. Des rumeurs circulent aussi sur un appel d’offres à venir pour un logiciel informatique adapté. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre de la préférence indigène coûtera. Les estimations varient entre 40 et 60 millions de francs.

Les entreprises pas convaincues de l’efficacité des ORP

Insuffisant, selon le ministre genevois, pour éviter un fiasco programmé: «On va obliger les entreprises à annoncer des postes pour lesquels l’Etat ne pourra pas leur fournir rapidement les meilleurs candidats. Elles auront beau jeu, alors, d’affirmer qu’elles doivent s’en remettre aux travailleurs étrangers.» Il en profite pour tacler le parti de l’économie, dont la solution «n’oblige même pas» les entreprises à recevoir les candidats proposés par les ORP: «Cette solution du PLR consistant à ménager la chèvre et le chou n’a d’autre but que de faire pourrir le chou et crever la chèvre!»

Même le taux de chômage d’au moins 5% n’a pas la faveur du Genevois, qui militait, comme le conseiller d’Etat bâlois socialiste Christoph Brutschin, pour le 8% dans les professions les plus touchées: «Ce qui permettrait d’être plus efficace, si tant est qu’on dispose d’un outil informatique, car à 5%, les ORP seront submergés.» Et ceux-ci n’ont déjà pas la cote: dans une enquête suisse réalisée en 2014 sur les thèmes de la mobilité sur le marché de l’emploi et les pénuries de compétences, plus de 20% des entreprises déclaraient que la sélection et l’acquisition des candidats provenant des ORP n’étaient pas optimale. Plus de la moitié déplorait que les ORP n’avaient aucun candidat à proposer. Ajouter à ces dysfonctionnements un système informatique obsolète, et c’est l’échec assuré.

Les cantons ne peuvent pas utiliser les données des ORP

Aussi Genève n’a-t-il pas attendu le bon vouloir fédéral pour décider d’adapter son programme informatique, se félicite Mauro Poggia. Qui modère tout de même son enthousiasme, au vu des difficultés rencontrées sur le chemin de cette émancipation: «Les cantons ne peuvent pas utiliser les données des ORP sans une adaptation de l’ordonnance fédérale. A force d’être obnubilés par la protection des données, on en oublie la finalité recherchée, à savoir le retour en emploi. C’est absurde.»

Une difficulté à laquelle le magistrat s’est déjà heurté, en voulant autoriser le service de réinsertion des bénéficiaires de l’aide sociale à accéder aux données des ORP. Il doit désormais compter sur Johann Schneider-Ammann pour lui éviter les entraves administratives. Reste à voir si, en 2018, les ORP du pays seront prêts pour le chantier de la préférence indigène. A ce jour, il n’y a pas grand monde pour y croire.