Le Temps: Un accord européen sur l’électricité est-il important pour assurer l’avenir énergétique de la Suisse?

Beat Vonlanthen: C’est un dossier capital. Doris Leuthard a la ferme intention d’aller rapidement de l’avant sur le dossier de l’électricité, comme son partenaire européen, Günther Oettinger, commissaire chargé de l’Energie. Mais la fenêtre politique pour aboutir à un accord est étroite. Dès avril 2014, l’UE entre en période électorale. Si la Suisse ne parvient pas à finaliser un accord sur l’électricité avant le printemps, tout deviendra plus difficile alors que début 2015 l’entier du marché européen de l’électricité sera ouvert. Les grandes entreprises électriques suisses seront confrontées à d’importantes difficultés si, à ce moment-là, des obstacles réduisent leur accès au marché européen.

– Les contrats à long terme d’importation du nucléaire français, très avantageux pour la Suisse, sont remis en question par l’UE. Un compromis se dessine-t-il malgré tout?

– Un accord devrait être trouvé sur des compensations financières permettant de contourner l’obligation physique de livrer du courant.

– La nouvelle stratégie du Conseil fédéral présentée par Didier Burkhalter pour faire évoluer les accords bilatéraux avec l’UE ne compromet donc pas la conclusion rapide d’un accord sur l’électricité?

– Je ne pense pas que l’accord sur l’électricité avec l’UE soit compromis par le mandat de négociation sur les questions institutionnelles. Car il ne faut pas oublier que la Suisse a aussi des atouts à faire valoir dans la négociation, comme les fortes capacités en énergie hydraulique.

– Vous semblez malgré tout optimiste, aussi en tant que président de la Conférence des directeurs cantonaux de l’Energie (EnDK)…

– Oui: dans les grandes lignes, Doris Leuthard pense qu’un accord politique est réalisable sur la base d’un document de travail qui sera à notre disposition avant la fin de l’année. L’EnDK est favorable à un accord, mais pas à n’importe quel prix.

– Quelles sont vos conditions?

– Nous aimerions en premier lieu connaître les conséquences exactes de l’accord pour les cantons. Les objectifs de l’UE, concernant la part des nouvelles énergies renouvelables, sont à notre avis trop ambitieux. Ce n’est pas possible, en Suisse, de réaliser ces objectifs d’ici à 2020, d’autant plus que l’UE ne tient pas compte, dans ses quotas, de l’énergie hydraulique traditionnelle, qui est pourtant renouvelable. Mais, au vu de l’évolution des premières discussions, une certaine souplesse du côté européen par rapport à ces objectifs semble envisageable.

– Qu’en est-il de la condition posée par l’UE de soumettre à autorisation toute aide étatique qui pourrait créer des distorsions de concurrence?

– Cette exigence nous dérange effectivement beaucoup. Je vois mal les communes ou les cantons devoir annoncer à Bruxelles chaque projet d’aide directe. Cela me paraît d’autant plus absurde que l’Allemagne, en subventionnant massivement la production d’énergie photovoltaïque et éolienne, a contribué à déstabiliser le marché européen et à rendre moins compétitif le prix de l’énergie hydraulique suisse.

– Le système d’aide suisse – la rétribution à prix coûtant (RPC) – est-il mis en danger par l’accord en discussion?

– Oui, pour certains de ses aspects, comme la récente décision d’exonérer de la taxe RPC les entreprises grandes consommatrices d’électricité. Une bonne solution serait d’éviter un effet rétroactif, c’est-à-dire de prendre en compte uniquement les futures mesures qui pourraient avoir un effet notable de distorsion de concurrence.

– Quel est le lien entre l’ouverture complète, attendue, du marché suisse de l’électricité et les chances de succès d’un accord avec l’UE?

– Ce lien est essentiel. C’est une condition sine qua non pour l’UE, mais la date d’entrée en vigueur de l’ouverture du marché suisse peut être repoussée et ne devra plus se réaliser simultanément à celle du marché européen. Il est dans l’intérêt de nos entreprises de pouvoir obtenir, en échange, de l’électricité européenne à bas prix.

– Les entreprises électriques suisses sont propriété des pouvoirs publics à 80%. N’est-ce pas un handicap pour le succès des négociations avec l’UE?

– Non. Regardez la situation d’EdF en France! La seule question à régler est celle de Swissgrid, la société de gestion du réseau à très haute tension dont les actionnaires sont les entreprises électriques. Mais je pense que ce problème peut être résolu. Une solution serait, par exemple, que les cantons deviennent actionnaires de Swissgrid, ce qui prouverait leur prise de responsabilité dans la sécurité de l’approvisionnement du pays en électricité.