«La position de la Suisse va sûrement miner les relations sino-helvétiques.» Voilà comment la Chine a réagi jeudi, par la voix du porte-parole du Ministère des affaires étrangères, à la décision du Conseil fédéral d’accueillir deux Ouïgours de Guantanamo à titre humanitaire. Elle va jusqu’à demander à Berne de revenir sur sa décision. Ma Zhaoxu a tenu ces propos lors d’un point presse à Pékin sans pour autant évoquer de sanctions précises. Le choix du Conseil fédéral va-t-il peser sur les négociations en vue d’un accord de libre-échange entre les deux pays? Rien ne permet pour l’instant de l’affirmer.

Ralentir, voire geler, le dossier? «Tout cela relève de la pure spéculation! On ne sait pas pour le moment quel est le degré d’importance accordé par les autorités centrales chinoises à ce dossier. Il est trop tôt pour connaître leurs réactions», réagit Gérald Béroud. Le responsable du site SinOptic (Services et études du monde chinois) rappelle par ailleurs que les relations avec la Chine ne s’arrêtent pas aux liens économiques. «Elles vont du dialogue dans le domaine des droits de l’homme initié en 1991 à la formation des fonctionnaires supérieurs chinois, des collaborations en matière de développement durable, d’environnement urbain, à une foule de partenariats et d’échanges, tant du public que du privé, venant de grandes organisations ou d’individus. Toutes ces collaborations et contacts pourraient être mis sur la sellette», ajoute-t-il.

Conscient qu’il allait devoir affronter la colère chinoise, Berne a pris les devants jeudi matin. Il a dépêché son ambassadeur en Chine, Blaise Godet, au Ministère des affaires étrangères pour expliquer la décision suisse avant même qu’il soit convoqué. Le 18 décembre, l’ambassadeur de Suisse en Chine avait réagi par le biais d’une lettre lorsque le canton du Jura avait fait savoir qu’il était prêt à accueillir les deux frères appartenant à la minorité musulmane du pays. Pékin avait déjà manifesté son opposition lors d’une première réunion du groupe de travail sur l’accord de libre-échange.

Se contenter de l’Ouzbek

Bahtiyar et Arkin Mahnut sont retenus depuis huit ans à Guantanamo sans avoir été accusés ni condamnés. Les Américains ont reconnu en 2003 déjà les avoir arrêtés de manière arbitraire. Mais, pour Pékin, les sept Ouïgours encore détenus dans la base américaine à Cuba sont des terroristes et doivent être rapatriés en Chine. «Ces suspects ouïgours étaient membres de l’organisation terroriste du Mouvement islamique du Turkestan oriental», a déclaré Ma Zhaoxu jeudi. «Ils figurent sur une liste onusienne. En tant que membre de l’ONU, la Suisse doit assumer ses responsabilités.» Mercredi, Eveline Widmer-Schlumpf a au contraire insisté sur le fait que ni les informations fournies par les Américains ni celles recueillies par les experts suisses ne permettaient de penser qu’ils ont le moindre lien avec une organisation dangereuse.

Dans une interview au Tages-Anzeiger, Uli Sigg, ancien ambassadeur de Suisse en Chine et grand connaisseur du pays, n’hésite pas à critiquer la décision du Conseil fédéral. Il laisse entendre que l’accueil des Ouïgours est inutile, la Suisse n’ayant rien à espérer des Etats-Unis. La Suisse a par ailleurs déjà tenu ses engagements en accueillant un Ouzbek retenu de façon arbitraire à Guantanamo, rappelle-t-il. Fâcher la Chine avec cette nouvelle décision, même si les conséquences ne seront pas forcément importantes, aurait donc pu être évité. «Il y a vraiment d’autres moyens de prouver ses engagements humanitaires», dénonce Uli Sigg.