Après avoir été agréé par l'escouade de Protectas, on pénètre, par une porte dérobée de l'aile est, dans le bâtiment achevé en 1902. Les visiteurs s'éparpillent à pas feutrés sur le parquet qui grince. On essaie de déchiffrer les titres des classeurs enfermés derrière les vitres, histoire de découvrir, peut-être, quelque secret d'Etat…
Des enfants tentent l'escalade des impassibles fauteuils de la salle des pas perdus. On s'arrête devant le carmin des tentures, des fauteuils et de la tapisserie de la petite salle de réception protégée par un cordon. Marbres et ors du lieu vidé de ses occupants habituels inspirent le respect; les visiteurs parlent à voix basse. «C'est plutôt somptueux», déclarent Steve et Sandra Michaud, de Neuchâtel, qui ont emmené leurs deux garçons. Romain, 6 ans, finit par lâcher qu'il préfère les jumelles, mises à disposition pour regarder les vitraux depuis des chaises longues.
Justement, dans le hall central, on se tord le cou pour admirer les armoiries fédérales enchâssées dans la coupole qu'entourent les armoiries cantonales – celles du Jura rajoutées plus tard – et les vitraux avant de descendre l'escalier pour se figer devant l'impressionnante statue des conjurés d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald.
On remonte. Dans l'austère salle du Conseil des Etats, à peine éclairée par le lustre allumé, une cinquantaine de visiteurs s'installent sagement à la place des parlementaires pour écouter Filippo Lombardi, conseiller aux Etats tessinois, PDC, répondre, plein de bonne volonté, aux questions d'Elisabeth Thürlemann, responsable des visites guidées. Au bout d'un moment, certains s'en vont sur la pointe des pieds, d'autres viennent jeter un œil. Les enfants étouffent des bâillements. Quelques visiteurs se lancent et le questionnent à leur tour, sur le «Risottograben», les lobbies… «Quand on veut que les collègues nous comprennent, on parle allemand», conclut le parlementaire sous les rires, avant de se dire heureux de l'intérêt du public pour le travail des politiciens. Applaudissements.
«C'est intéressant de pouvoir voir concrètement les lieux où se prennent les décisions», explique Steve. Dans la lumineuse salle du Conseil national, restaurée en 1993, l'on tripote respectueusement les boutons de vote – éteints – des pupitres en bois. La magistrale fresque bleutée représentant le Grütli, œuvre de Charles Giron, qui surplombe l'hémicycle avec son ange et son rameau d'olivier remporte tous les suffrages. Statues de Guillaume Tell et de la femme de Stauffacher, matériaux, tribunes, écrans, bois sculpté… L'Histoire est là, dans cet hémicycle.
En terrain connu
Stefanie, une jeune Bernoise venue avec son compagnon, a l'impression d'être en terrain connu. «On reconnaît les lieux d'après les images de la télé. Mais c'est plus petit, c'est rigolo», explique-t-elle. Le Palais fédéral paraît aussi petit à Karolina, Polonaise qui étudie à Bâle. «Mais votre pays aussi est petit», sourit-elle. Ce qui la frappe, c'est surtout le bon état des lieux. «Chez nous, en Pologne, le parlement aurait déjà dû être rénové plusieurs fois.»
La présentation historique du bâtiment et un rafraîchissant rappel du fonctionnement du parlement par un guide, clairs et ramassés, sont donnés plusieurs fois par jour. «Les explications sont excellentes, et les questions reçoivent toujours des réponses», salue Giovanni Orsini, policier bâlois qui vient pour la deuxième fois. D'ailleurs, les visiteurs demandent à revenir lors des sessions. Ne leur restera plus qu'à trouver le poisson d'avril malicieusement peint par le Genevois Charles Giron pour l'inauguration de sa fresque, le 1er avril 1901.