Publicité

«Le pape François nous donne plus de sueurs froides»

Rencontre avec un capitaine et un hallebardier sous les drapeaux. Trente nouvelles recrues prêteront serment mardi prochain

Le capitaine et le hallebardier réalisent un rêve d’enfant au sein de la Garde suisse. — © à gauche
Le capitaine et le hallebardier réalisent un rêve d’enfant au sein de la Garde suisse. — © à gauche

«Le pape François nous donne plus de sueurs froides»

Gardes du Vatican Rencontre avec un capitaine et un hallebardier sous les drapeaux

Trente nouvelles recrues prêteront serment mardi prochain

Les deux gardes suisses sont vêtus d’un simple uniforme d’exercice, entièrement bleu. Ils ne portent pas la hallebarde, ne sont pas au garde-à-vous. Porte Sainte-Anne, ils sont décontractés et discrets. Les deux hommes gardent l’une des entrées de service du Vatican, au nord de la place Saint-Pierre. Devant eux défilent prélats et employés du petit Etat, parfois même le pape François. Il ne faut donc pas attirer l’attention sur cette petite ouverture.

Car l’uniforme classique, celui aux longues bandes bleues, jaunes et rouges, attirent bien des touristes. Autour des jeunes hallebardiers, les flashes crépitent sans cesse. «Je suis gêné que l’on me prenne en photo sans me le demander, commente Philippe Mayoraz, une nouvelle recrue de 24 ans. Sans compter les visiteurs qui aboient pour nous déconcentrer durant notre service.»

Le Valaisan a intégré la Garde suisse pontificale il y a maintenant six mois. Mardi 6 mai, il prêtera serment aux côtés de 29 autres camarades. En apparence confiant, il entrera pour de bon dans les rangs. Il se réjouit déjà de ne plus être considéré par les plus âgés comme une «simple recrue». Ce jour-là, il commémorera le sacrifice de Suisses pour protéger le pape Clément VII lors du sac de Rome en 1527, 21 ans seulement après la création de la Garde suisse par Jules II.

Derrière cette porte Sainte-Anne se situe le quartier suisse. Trois bâtiments parallèles forment le petit coin helvétique du Vatican. La cour d’honneur en est le centre névralgique. Les drapeaux de tous les cantons flottent sur les quatre façades. A l’abri des regards, un ballon de football marron, dégonflé, gît au pied d’une statue. «Les enfants des gardes viennent parfois jouer ici», avoue le capitaine Cyril Duruz. Il entre dans une cantine cossue à l’air familier de carnotzet et s’assoit au bout d’une longue table en bois. Peints sur l’une des parois, des gardes suisses de plus de deux mètres, semblent avancer tambour battant sur l’officier.

Habillé de son uniforme bleu de fonction, le Lausannois d’origine fribourgeoise, âgé de 32 ans, se rappelle de ses premiers instants au Vatican, quatorze ans plus tôt. Ses souvenirs le portent dans la cour d’honneur, où tous les matins, pendant trois semaines, il faisait ses exercices en tant que jeune recrue. «Voilà cinq siècles que des Suisses font ces mêmes gestes et suivent les mêmes instructions, à l’intérieur de ces murs. C’est fort rien que d’y penser», confie Cyril Duruz.

Après avoir obéi aux ordres de 2000 à 2002, il est désormais l’un des hommes gradés qui les donne. Lui et sa hiérarchie sont à la tête de 110 personnes. Ils forment ensemble le plus petit corps d’armée au monde, chargé de la défense du Vatican et du pape.

Le capitaine lausannois a réintégré la Garde suisse le mois dernier, après douze années passées au pays. Une place prisée: il n’y en a que cinq à ce niveau. Après un premier rêve d’enfant, il en assouvit donc un second: «Revenir, en famille, avec de nouvelles responsabilités.» Il franchit une nouvelle fois les portes du Vatican, marié avec trois fils et heureux de pouvoir leur «faire découvrir la vie de l’Eglise».

Philippe Mayoraz, la recrue valaisanne, prend alors la place de son capitaine dans la cantine du quartier suisse. Sur la même chaise, il se tient aussi droit que son supérieur. Seul change l’uniforme, beaucoup plus coloré. Il n’a pas le recul de l’âge ni de l’expérience. Son premier souvenir est plus terre à terre: les murs du Vatican, interminables, qu’il a longés en car sur le trajet entre l’aéroport et sa future demeure. Et cette impression «d’en avoir fait trois fois le tour». En bout de course, son impatience est récompensée d’un rêve d’enfant lui aussi devenu réalité. Son service dure 25 mois et lui impose des réveils à 5h15 pour suivre des cours d’italien, de défense et de connaissance du Saint-Siège. Il doit connaître la géographie du Vatican, ses bâtiments et son personnel sur le bout des doigts.

Le hallebardier et le capitaine. Les deux générations de gardes suisses partagent une vocation. Tous deux servent le souverain pontife. Qu’il s’appelle Jean-Paul II, Benoît XVI ou François, peu importe. «Notre chef est toujours le même, Dieu, résume Philippe Mayoraz. Nous servons les successeurs de saint Pierre.» Cyril Duruz précise avoir un rapport de piété filiale avec la figure papale.

Mais le style de François est venu bouleverser des habitudes centenaires. «Il nous donne plus de sueurs froides. Il faut être prêts à l’imprévisible, concède le Vaudois. La Garde suisse a dû faire quelques changements.» Le capitaine ne les détaillera pas, mais le plus visible est la présence de hallebardiers à la maison Sainte-Marthe. Le pape argentin a décidé d’y prendre ses quartiers, alors que ses prédécesseurs logeaient dans le Palais apostolique. Le service y a été renforcé et réservé aux gardes les plus expérimentés.

Dans trois jours, ces gardes suisses revêtiront une cuirasse du XVIIe siècle, sortie pour les grandes occasions comme l’assermentation. Fier et avec une pointe ­d’humour, le jeune hallebardier valaisan «sent déjà sur ses épaules le poids de la tradition».

«Voilà cinq siècles que des Suisses font ces gestes et suivent les mêmes instructions, à l’intérieur de ces murs»