Charles Favre: Ces dernières années, la croissance des impôts et la multiplication des charges, taxes, primes d'assurance maladie ont pesé sur la population. L'OCDE dit que notre capacité concurrentielle est mise en danger. Le paquet fiscal lance un message clair: on dit stop, on diminue la fiscalité, on explique que l'Etat ne peut pas tout faire et on donne davantage de responsabilités aux gens.
Luigi Pedrazzini: La comparaison avec les autres Etats me paraît moins judicieuse que la comparaison avec les prestations qui sont financées par les impôts. Ceux-ci sont élevés, mais nos prestations le sont aussi. Je pense par exemple aux hôpitaux ou aux autoroutes. C'est un élément de poids pour notre compétitivité. Ceux qui veulent baisser les impôts doivent aussi dire quelles prestations ils sont prêts à abandonner ou à réduire.
C.F.: Vous avez raison. On ne peut pas parler des impôts sans parler des prestations. Eh bien, justement, nous devons discuter de leur niveau. Celui-ci est excellent, mais je ne suis pas convaincu que nous puissions le conserver dans tous les domaines. On peut, à mon avis, se satisfaire de 90% de nos prestations actuelles, car ce sont les 10% en plus qui nous coûtent le plus cher et sont le moins indispensables.
L.P.: Réduire la qualité de nos prestations est un travail politique difficile. On ne peut réussir un tel exercice que dans une situation de consensus. Or, le paquet fiscal a instauré un climat conflictuel entre la Confédération et les cantons. C'est dangereux, car les domaines qui disposent de lobbies politiques moins puissants, comme la formation, sont les plus menacés.
– N'y a-t-il pas, derrière le paquet fiscal, la volonté cachée de diminuer les recettes des collectivités publiques afin de les obliger à se réformer?
C.F.: Le paquet fiscal n'est pas dirigé contre les cantons. Mais il y a la volonté de dire aux collectivités publiques, Confédération comprise, dans quel cadre financier elles doivent travailler. Ce qui me frappe avec le paquet fiscal, c'est que le clash avec les cantons a été très tardif. Pendant plusieurs années, ceux-ci ont soutenu le projet. Ce n'est qu'au moment où il y a eu le changement du système d'imposition du logement que les choses se sont dégradées.
L.P.: C'est bien le volet logement qui nous déplaît. Et le parlement a commis une grave erreur en ficelant le tout en un seul paquet. On ne peut pas réduire le cadre financier des cantons et des communes sans engendrer des tensions importantes. Pour le reste, je crois que les cantons ont apporté la preuve de leur volonté de réduire leurs déficits. Mais ce n'est pas facile de faire des réformes, car on touche inévitablement aux prestations.
C.F.: Je n'ai jamais dit que c'était facile. Je suis bien placé pour savoir que même de petites décisions peuvent poser des problèmes politiques énormes. Dans le canton de Vaud, j'avais proposé de relever le nombre d'élèves de deux par classe. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester. Or, ce débat est dépassé, car on ne peut plus se satisfaire de petites mesures de ce genre. La population a le choix aujourd'hui entre la hausse des impôts pour maintenir toutes les prestations ou l'abandon de certaines prestations. Avec le paquet fiscal, on montre clairement que l'on privilégie la deuxième solution.
L.P.: En baissant les impôts, on fait croire qu'on a davantage de ressources qu'on n'en a en réalité. Il faut donc défendre avec d'autant plus de rigueur celles qui sont disponibles.
C.F.: A ce raisonnement j'oppose l'argument de la croissance. On peut se permettre une baisse d'impôts dans l'idée que cela va la relancer. Les cantons se plaignent de ne plus avoir assez de rentrées fiscales. Pourquoi est-ce ainsi? Parce que notre croissance économique est la plus basse d'Europe depuis dix ans. La politique fiscale peut être l'un des moteurs de cette relance.
L.P.: Certains cantons, comme le Tessin, l'ont fait. Ils ont misé sur la croissance et agi sur le levier fiscal. Ce qui ne va pas avec le projet du 16 mai, c'est qu'il implique une intrusion dans l'autonomie des cantons en matière fiscale. Il a peu d'effets sur la croissance. Ce sont des économistes renommés qui le disent. L'argent prétendument redonné aux contribuables sera repris par l'augmentation des impôts cantonaux et communaux.
C.F.: Il faut tout de même rappeler que les hausses d'impôts ne sont pas de la seule compétence des gouvernements cantonaux. Il faut l'approbation du parlement et du peuple. Et je les vois mal obtenir un tel feu vert. Je ne prends donc pas trop au sérieux de cette menace.
– Est-il juste de changer de système d'imposition du logement?
C.F.: Les propriétaires ont aujourd'hui un intérêt fiscal à être endettés et utilisent le deuxième pilier pour bâtir. C'est éthiquement et économiquement indéfendable. Et le deuxième pilier est prévu pour assurer son niveau de vie à la retraite et pour financer un séjour en EMS, par exemple. Je préfère miser sur l'épargne logement. Or, 60% des gens qui utilisent ce moyen à Bâle-Campagne, seul canton à offrir cette possibilité, ont un revenu inférieur à 80 000 francs. Cela montre que c'est aussi utile à tout le monde. Le nouveau système est ainsi favorable aux nouveaux propriétaires et à ceux qui ont amorti leur dette hypothécaire. Je reconnais cependant que ceux qui sont entre deux, qui se sont fortement endettés pour acquérir leur logement avant le changement de système, sont dans une position plus difficile.
L.P.: Je ne suis pas d'accord. Les buts visés par la réforme ne seront pas atteints. Ces propositions ne permettront pas d'augmenter le nombre de propriétaires. Pour les jeunes couples qui veulent acquérir une maison mais ne disposent pas de capital propre suffisant, le système en vigueur est plus favorable. Et j'affirme que l'épargne logement est réservée aux hauts revenus.
– Si les cantons se sont braqués, c'est à cause de la déduction des frais d'entretien, qui est illimitée au-dessus de 4000 francs.
L.P.: Tout à fait. C'est une mauvaise solution. Elle ne profitera qu'aux grands propriétaires.
C.F.: Le parlement est parti de l'idée que les propriétaires assumeraient les frais d'entretien courants et qu'ils bénéficieraient d'une déduction fiscale pour les gros travaux tels que la réparation d'un toit qui coule ou le remplacement d'une chaudière. Il appartiendra aux cantons de vérifier que les demandes de déductions correspondent bien à des travaux d'entretien et non à des plus-values.
L.P.: Ce qui énerve les cantons, c'est qu'on ne leur laisse aucun choix. Ils doivent reprendre les mêmes déductions. Ce n'est pas conforme à la Constitution, qui limite l'harmonisation fiscale aux types d'impôts mais laisse la liberté sur les montants.
– Avez-vous le sentiment que quelque chose s'est cassé dans les relations entre les cantons et la Confédération?
L.P.: Oui, je le crains. Mais comme ce pays a besoin de concordance entre ses institutions, je pense qu'on arrivera à surmonter les problèmes.
C.F.: Il n'y a rien de vraiment nouveau. J'ai été frappé par le peu de cas que l'on faisait des cantons dès mon arrivée au Conseil national, en 1999. Le fait que les cantons aient lancé le premier référendum de l'histoire ne me pose aucun problème. Nous aurons cependant, en septembre, une votation sur la nouvelle péréquation financière. Il faudra l'appui de tous pour la faire accepter.
– Etes-vous d'accord avec les allégements prévus pour les familles et les couples mariés?
L.P.: Oui, sans hésitation, même si ce sont avant tout les couples qui ont un revenu supérieur à 100 000 francs qui en profiteront. Les cantons n'auraient pas lancé le référendum contre cette réforme si elle avait été présentée seule.
C.F.: Je suis d'accord avec vous: ce sont bien ceux qui gagnent plus de 100 000 francs qui en profiteront le plus. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela. On a voulu que l'IFD soit très progressif. Lorsqu'on décide de l'alléger, il est normal que ceux qui en paient beaucoup en profitent plus que ceux qui en paient très peu. Et j'insiste sur la nécessité absolue de supprimer l'aberration qui fait que les couples mariés sont plus lourdement imposés que les concubins. Pour les personnes modestes, on a mis en place un programme d'aide sociale généreux. Je cite l'exemple des subsides pour l'assurance maladie.
– Le parlement n'a-t-il pas pris un risque énorme en ficelant tout cela en un seul paquet auquel il faut dire oui ou non?
C.F.: Bien sûr qu'en ficelant tout ensemble on court le risque de cumuler les oppositions. J'aimerais cependant rappeler que les réformes de l'imposition de la famille et du logement poursuivent un même but: la baisse de la fiscalité et la relance de la compétitivité de ce pays. Il y a donc unité de matière.
L.P.: Du point de vue juridique, on peut ficeler tout ce qu'on veut. Le problème, c'est que le paquet fiscal est l'addition de différentes majorités qui ne se recoupent pas. On a espéré obtenir, à la fin, une majorité politique solide. Or, ce n'est pas le cas. Le projet manque de transparence. Pour moi, il est clair que le volet logement n'avait aucune chance d'être accepté s'il n'avait pas été lié au volet famille, qui, lui, serait approuvé sans problème.
– En cas de oui, pensez-vous qu'on pourra corriger le volet logement afin d'autoriser les cantons à adopter des déductions différentes, par exemple pour les frais d'entretien?
L.P.: Si le paquet fiscal est accepté, je ne peux que souhaiter que l'on apporte un tel correctif. C'est ce que voulait l'ancien Conseil fédéral. Mais le nouveau est d'un autre avis et nous n'avons pas la certitude que le parlement serait d'accord. Il faut donc voter non le 16 mai.
C.F.: On ne peut pas jouer avec l'électeur en lui disant de voter et qu'on verra après coup s'il faut changer ceci ou cela. Les gens doivent dire oui ou non. S'il y a ensuite des propositions de corrections, nous les analyserons le moment venu.
– A l'inverse, en cas de non, êtes-vous prêt à revenir avec un projet de réforme de l'imposition des familles?
C.F.: Oui, car l'inégalité de traitement entre couples mariés et concubins demeurera. Mais on en aura pour des années et l'on nous resservira tous les arguments déjà entendus: cadeaux aux riches, pertes fiscales, etc.
L.P.: Les cantons sont prêts à donner leur accord pour mettre en place des allégements pour les familles. Une marge de manœuvre existe, pour autant qu'on tienne compte de leur situation financière.
– Charles Favre, si vous étiez encore chef des Finances vaudoises, ne seriez-vous pas dans l'autre camp?
C.F.: Je comprends le discours des ministres cantonaux des Finances. Je regrette cependant qu'ils ne se demandent pas davantage pourquoi les recettes fiscales sont en recul. Les charges augmentent, mais nous continuons de perdre du terrain en compétitivité. Si cela continue ainsi, nous ne parviendrons jamais à assainir les finances publiques. Il faut donc soutenir la croissance, élément auquel ils ne sont pas assez sensibles.
– Luigi Pedrazzini, si vous n'étiez que démocrate-chrétien mais pas conseiller d'Etat, ne seriez-vous pas dans l'autre camp?
L.P.: J'aurais sans doute approuvé le paquet fiscal. Mais j'aurais changé d'opinion après avoir entendu l'argumentation des cantons.