Le parc éolien du Nufenen dans l’œil du cyclone
Énergie
Des scientifiques «vento-sceptiques» affirment que les quatre hélices installées au sommet du Nufenen ne sont pas rentables. On ne peut pas juger après une seule année d’exploitation, répliquent le propriétaire, Suisse Eole, et l’Office fédéral de l'énergie

Le parc éolien du Gries, au col du Nufenen, à 2500 mètres d’altitude, est-il une aberration économique? Chiffres à l’appui, les «vento-sceptiques», hostiles à l’idée de voir le paysage du pays parsemé de piliers et d’hélices, s’efforcent de démontrer que ce quatuor de rotors n’est pas rentable. Les propriétaires du site, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et Suisse Eole, répliquent que les statistiques ne sont pas suffisantes pour en tirer des conclusions valables.
Le parc le plus élevé d’Europe
Le premier mât a été posé au Gries en 2011 et les trois autres en 2016. C’est le parc le plus élevé d’Europe. La société Grieswind SA, qui en est le propriétaire, vise une production annuelle de 10 gigawatts-heure (10 millions de kWh). La première turbine aérienne était censée produire 3 GWh par année. Or, recense le physicien retraité Jean-Bernard Jeanneret, elle n’a pas dépassé 2,1 GWh en 2012 et 1,77 GWh en 2014 et en 2015. Pour 2017, première année d’exploitation de l’ensemble du site, la production s’est élevée à 7,8 GWh. Le scientifique complète l’analyse de ces chiffres par un indicateur relativement complexe nommé le «facteur de charge». Celui-ci permet de comparer les sites entre eux indépendamment du nombre et du type de machine.
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Il parvient à la conclusion que les installations du Nufenen ne sont pas rentables et que le résultat de 2017, «parfaitement prévisible», traduit un «excès d’optimisme de 70%». Il estime par ailleurs que le kWh produit par les pales du Gries devrait être vendu à 48 centimes pour atteindre le seuil de rentabilité. Il l’a écrit sur le site Clubenergie2051.ch, très critique envers la Stratégie énergétique 2050 (SE 2050). «Le Nufenen est un mauvais emplacement. On s’est trompé avec la première éolienne, pourquoi alors en a-t-on ajouté trois autres, dont une au-dessous de la première et en contrebas du tablier du barrage?» s’interroge-t-il. Il relève encore que les vitesses du vent sont plus faibles là-haut que, par exemple, autour de Martigny, où trois mâts ont été construits de part et d’autre du coude du Rhône. Du coup, il ne comprend pas pourquoi l’OFEN a apporté son soutien à ce parc énergétique qui bénéficie du tarif de rachat subventionné, en l’occurrence 21,5 centimes par kWh plus un bonus alpin de 2,5 centimes.
«Tous les parcs sont importants»
«Tous les parcs sont importants du point de vue de la SE 2050», répond le porte-parole de l’OFEN, Fabien Lüthi. «Ceux qui se trouvent dans les Alpes peuvent être avantageux sur le plan du bruit et de l’ombre, car ils sont généralement beaucoup plus éloignés des zones habitées que dans d’autres régions», justifie-t-il. L’intérêt de la Confédération est précisément de pouvoir comparer les performances d’installations situées à des altitudes différentes et exposées à des vents différents.
Présidente de Suisse Eole, la conseillère nationale Isabelle Chevalley (PVL/VD) reconnaît que la densité de l’air et la production sont moindres en montagne qu’en plaine ou à 1200 mètres, altitude du parc de Mont-Crosin, le plus grand du pays (16 hélices). «On ne peut pas tirer de conclusions sur la base d’une seule année d’exploitation. On manque encore de recul. Il appartient aux investisseurs de savoir s’ils s’en sortent avec le prix de rachat ou non. Je doute qu’ils se lancent pour perdre de l’argent», commente-t-elle. «Il n’appartient pas à l’OFEN de vérifier si un parc éolien peut être exploité de manière rentable avec la rémunération prévue. Le risque incombe à l’exploitant de l’installation», confirme Fabien Lüthi.
Justement, qu’en dit le propriétaire? René Lemoine, chef de projet, conteste l’analyse de Jean-Bernard Jeanneret et la pertinence de l’indicateur utilisé par ce dernier. «Appliqué à l’éolien, le facteur de charge ne permet pas de comparer la rentabilité de plusieurs parcs situés à des emplacements différents. Il n’est pas utilisé par les professionnels de l’éolien dans l’évaluation de la qualité d’un site avec un certain type de machine. Les facteurs déterminants sont la production annuelle nette et l’investissement nécessaire», explique-t-il. Il ajoute que l’ensemble du site «a été mesuré et modélisé en 3D afin d’estimer l’effet du barrage, qui est bien connu et exactement contraire à celui argumenté par Jean-Bernard Jeanneret. Le barrage canalise le vent et permet à l’éolienne qui se trouve juste en aval de bonnes performances en cas de vent du sud», poursuit-il. Il confirme que les vents diffèrent d’un endroit à l’autre: «Le Nufenen est dominé par les épisodes de foehn du nord ou du sud. La vallée du Rhône est dominée par les vents thermiques, tandis que le Jura est affecté par les courants d’ouest.»
«J’essaie de prendre un peu de hauteur»
Il ajoute que le montage des trois dernières éoliennes a été suivi d’une phase de test, de rodage et de réglage et d’une «mise à jour importante» de la première. Mais cela prend du temps, car les conditions climatiques à cette altitude ne sont pas faciles, notamment en hiver. «Il est important de comprendre que ce parc éolien nouvellement construit ne peut donner son plein potentiel dès la première minute de fonctionnement», insiste René Lemoine.
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Il reproche à Jean-Bernard Jeanneret d’être un opposant à l’énergie éolienne. Ce dernier dit n’appartenir à «aucun lobby. Je n’ai rien à vendre, j’essaie de prendre un peu de hauteur.»É Mais il est vrai qu’il porte un regard critique sur l’éolien en Suisse. Il reconnaît des qualités à la chaîne jurassienne, mais doute du potentiel du Nufenen et des parcs projetés dans le Jorat. Isabelle Chevalley, elle, y croit: «L’acharnement des opposants a incité les promoteurs de cette énergie à resserrer les rangs», réagit-elle. Ceux de Suisse occidentale se sont en effet constitués en Groupement romand pour l’énergie éolienne (GREE). Convaincus que les ennemis de l’éolien cherchent à les vaincre à l’usure en multipliant recours et oppositions, ils sont bien décidés à faire aboutir leurs projets. Et sont prêts à améliorer ceux qui posent problème. Ainsi, les pales des deux installations de Saint-Brais (JU), critiquées en raison de leur proximité des habitations, ont été équipées de peignes inspirés du plumage des oiseaux afin d’en réduire l’impact sonore.