Les Savoyards le savent: les festivités de l’Escalade, à Genève, tiennent lieu de symbole. Alors quand la majorité des cycles d’orientation (CO) genevois annonce le boycott de cette fête à l’école, elle doit s’attendre à des tirs nourris.

Précisément. Si une partie des parents observaient jusqu’ici le combat de la fonction publique avec bienveillance, ce boycott a fait basculer des soutiens courtois dans l’indignation. La rouspétance a d’abord pris le chemin des réseaux sociaux, puis des associations de parents. «Dans les écoles où l’Escalade a été supprimée, on a reçu des réactions violentes, atteste Laurence Miserez, co-présidente de la Fédération des associations de parents d’élèves du Cycle d’orientation (FAPECO). L’argument des enseignants consistant à dire qu’ils se recentraient sur l’étude et supprimaient une activité bénévole n’a pas été entendu. Car l’Escalade est une institution. Les parents sont agacés de voir les élèves pénalisés sans que la cible soit atteinte.» Pourtant, cette organisation faîtière assure partager les inquiétudes des enseignants, sans soutenir la grève pour autant.

Même prévention, même agacement à l’association de parents d’élèves du cycle d’orientation de Drize (APECO-Drize): «Si nous n’avons rien contre les salaires et les horaires de la fonction publique, nous observons que les parents sont très mécontents que leurs enfants soient pris en otage, avance Stéphane Proust, président. Certains se demandent aussi quand et comment les enseignants comptent rattraper le retard pris sur le programme.» L’affaire s’est encore envenimée lorsque des parents ont cru comprendre qu’un camp qu’ils avaient déjà payé avait été suspendu et qu’ils ne recouvriraient peut-être pas l’intégralité de l’argent versé: «Certains sont prêts à aller jusqu’au tribunal», relaye Stéphane Proust. Réponse du syndicat des enseignants: «Nous avons voté un possible boycott des camps au cas où nous n’obtiendrions pas satisfaction sur le plan budgétaire, rétorque Julien Nicolet, délégué de la FAMCO. Mais nous n’en sommes pas là et il va de soi que nous soutiendrions la démarche des parents à être remboursés.» Pour autant, la colère ne semble pas être venue aux oreilles du syndicat: «Beaucoup de parents nous soutiennent, affirme Julien Nicolet. Mais le moment n’est pas à la gaudriole, et on se recentre sur l’enseignement. Nous estimons qu’une disco perdue n’est pas grand chose en comparaison du risque de restrictions budgétaires.»

Tout se passe pourtant comme si ce boycott, après la rétention des notes et six jours de grève, était la provocation de trop. Il faut croire que la politique est aussi affaire de symboles. C’est l’avis de Jean Romain, député PLR et ancien professeur au collège: «La force d’un symbole comme l’Escalade à Genève est plus puissante que les revendications, fussent-elles légitimes. Le mieux est l’ennemi du bien, et à trop demander on risque de perdre ce qu’on a.» Si le syndicat des enseignants ne partage pas cette analyse, il semble que certains professeurs aient perçu le danger. Vendredi, le CO de Drize est revenu partiellement en arrière, maintenant la fête mais pas les activités annexes.

Pendant ces querelles contemporaines autour de la commémoration de la bataille de 1602, le bras de fer politique se poursuit. Même si vendredi le mouvement n’a mobilisé que mille grévistes, rejoints dans l’après-midi par 3000 manifestants. De son côté, dans une lettre à ses employés, le président du Conseil d’Etat François Longchamp enjoignait de cesser la grève, tout en prônant la reprise du dialogue pour trouver des pistes, fussent-elles «des augmentations de recettes réalistes «. Une porte ouverte vers une alternative aux économies. Ce qui n’a pas empêché Marc Simeth, président du Cartel intersyndical, d’ironiser dans Le Courrier: «On nous demande d’arrêter la grève, on ne nous l’ordonne plus, c’est un progrès». Fidèle à sa position, le Cartel a maintenu son préavis de grève pour le 14 décembre. Dans l’intervalle, syndicats et Conseil d’Etat se réuniront. Peu de chances qu’ils entonnent ensemble le Cé qu’è lainô, l’hymne de la République.