Paris ne veut pas du centre de contrôle aérien binational
AVIATION
Un centre franco-suisse de contrôle aérien devait s'établir à Genève en 1999. Le ministre français des Transports a finalement décidé d'y renoncer. Il le dit dans une lettre à Moritz LeuenbergerLes Suisses s'estiment mal payés en retour. Et ils ne se privent pas d'agiter la menace de reconsidérer la participation de Thomson-CSF aux côtés de la société américaine Hughes dans la réalisation de Florako
Les Français s'opposent à la réalisation d'un centre commun franco-suisse de contrôle aérien à Genève. Le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, l'a fait savoir à son homologue helvétique Moritz Leuenberger dans une lettre datée du 20 mars.
Le ministre communiste écrit qu'«il ne [lui est] pas possible de retenir la mise en œuvre du centre commun». Il ajoute toutefois souhaiter que Français et Suisses parviennent «ensemble à respecter les échéances arrêtées au plan international pour la mise en service du nouveau réseau de routes aériennes […]». Une collaboration qui ne requiert toutefois pas l'installation d'un centre commun. Une structure qui devait employer, sur une base paritaire, des personnels des deux pays et dont l'installation à Cointrin avait été prévue pour 1999.
L'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) confirme l'existence de la lettre. «Nous en analysons le contenu et réfléchissons aux moyens de pression à mettre en œuvre», explique Hans Aebersold, porte-parole de l'OFAC. André Auer, directeur de l'office, doit rencontrer cette semaine le chef du Département de l'environnement, des transports, de la communication et de l'énergie (DFTCE) pour élaborer une riposte.
La missive de Paris fait suite à une des informations contradictoires. Tout remonte à la réunion des ministres suisse et français des Transports, le 9 février à Paris, au cours de laquelle la question du centre commun a été abordée. Deux jours plus tard, le syndicat faîtier des personnels français du contrôle aérien, hostile au centre commun en raison des menaces que sa réalisation ferait peser sur les acquis sociaux, annonçait dans une note interne que le centre ne verrait pas le jour.
Une information que les syndicats tenaient de Pierre Graff, directeur de la Direction générale de l'aviation civile française (DGAC). Ce dernier leur précisait que les ministres étaient convenus, lors de leur entretien à Paris, de renoncer au projet de centre franco-suisse. Les intéressés démentaient l'information le 13, Moritz Leuenberger surtout.
Si le ministre français s'est finalement donné la peine de préciser sa position par écrit, c'est, estime-t-on à Berne, en raison de nouvelles pressions syndicales. Les Suisses font remarquer en passant que des données partisanes expliqueraient partiellement le refus français.
Jean-Claude Gayssot est communiste et Pierre Graff passe pour être proche du syndicat non moins communiste CGT. Mais le projet d'installation d'un centre binational n'est pas définitivement abandonné, veut-on croire à l'OFAC. Un remaniement ministériel pourrait débloquer la situation…
Les militaires français sont, dit-on, irrités par la fin de non recevoir de Jean-Claude Gayssot. Ils redoutent que la non-réalisation du centre commun ait des répercussions négatives sur leur participation à la mise en œuvre de Florako, le futur système de contrôle du trafic aérien militaire suisse qui sera soumis cette année au parlement.
Paris n'avait-il pas fait comprendre à Berne, dans une partie de donnant-donnant, que si la société française d'électronique militaire Thomson-CSF n'était pas retenue dans le contrat Florako, la France pourrait tirer un trait sur le projet de centre commun? Les Suisses s'estiment aujourd'hui mal payés de retour. Et ils ne se privent pas d'agiter la menace de reconsidérer à leur tour la participation de Thomson-CSF aux côtés de la société américaine Hughes dans la réalisation de Florako.
Or les militaires, français et suisses, militent pour une collaboration renforcée des contrôles aériens de leur pays, dans l'optique d'une meilleure fluidité du trafic et, ils ne s'en cachent pas, d'une possible coopération de leurs forces aériennes qui ne tiendrait que moyennement compte des frontières. L'OFAC, Swisscontrol (organe de surveillance du contrôle aérien civil) et l'armée de l'air suisse ont par ailleurs le projet d'intégrer les systèmes de contrôle aérien militaire et civil et de les placer tous deux sous la houlette du futur Florako. Selon le directeur de l'OFAC, cette option ne remettrait pas en cause la viabilité d'un centre commun à Cointrin, abstraction faite du refus français d'y participer.
L'idée d'un centre binational proprement dite remonte à la signature en 1990 par les autorités suisses et françaises d'un Plan d'harmonisation des systèmes de contrôle. Bien plus tard, en novembre 1996, André Auer et Philippe Jaquard, directeur de la navigation aérienne française, prenaient acte, dans un communiqué, des «conclusions positives des études de faisabilité portant sur la création d'un centre de contrôle aérien binational». La nouvelle entité devait employer 400 personnes au moins, pour moitié suisses, pour l'autre françaises.