Se tenir prêt pour agir immédiatement et riposter en cas de nouvelle attaque contre les langues nationales. L’intergroupe parlementaire Plurilinguisme CH, créé à Berne début juin sous l’impulsion du Forum Helveticum, est encore en phase de mise en place. Sa mission est sans équivoque: «Nous entendons offrir au plurilinguisme un véritable appui et en valoriser le principe même dans le débat politique national», explique Christine Matthey, la directrice du Forum Helveticum, forum pour la compréhension linguistique et culturelle en Suisse, qui assure le secrétariat du groupe.
«Nous voulons affirmer que le plurilinguisme est une chance. Il est important de faire passer ce message, y compris auprès des jeunes Romands, qui pensent trop souvent qu’apprendre l’allemand est rébarbatif et inutile», lance Isabelle Chevalley, conseillère nationale (PVL/VD), coprésidente du comité de l’intergroupe. La politicienne en a elle-même fait l’expérience: «Le Vocabulaire de base allemand est le seul livre que j’ai brûlé à la fin de ma scolarité», se souvient-elle, regrettant aujourd’hui de ne pas être bilingue.
Un groupement de plus qui risque de se superposer à d’autres? «C’est vrai, il existe déjà des groupes de défense des minorités romanche et italophone. Il ne s’agit pas d’empiéter sur leurs compétences, mais de coopérer et d’agir avec eux dans une approche plus globale, qui dépasse la défense de telle langue ou de telle culture», précise Christine Matthey. Face aux menaces, «les diverses composantes linguistiques suisses sont en pleine effervescence. Elles réagissent pour être mieux comprises, défendues, entendues», ajoute le conseiller national Dominique de Buman (PDC/FR), membre fondateur de l’intergroupe et président d’Helvetia Latina, une association davantage tournée vers la défense des minorités latines. «Il n’y a pas recoupement, plutôt des points de rencontre, mais c’est vrai que nous devrons réfléchir à la manière d’articuler les différents groupes et associations», reconnaît Dominique de Buman.
«Dimension symbolique»
S’agissant de l’intergroupe parlementaire, il «entend constituer une structure réactive et coordonnée», annonce Christine Matthey. La mise sur pied de cet instrument de défense intervient à la suite des attaques lancées dans plusieurs cantons alémaniques contre l’enseignement d’une seconde langue étrangère à l’école primaire. En l’occurrence, les menaces visent le français, puisque l’anglais représente la première langue étrangère enseignée dans 14 cantons alémaniques, dont ceux de Suisse centrale et de l’est du pays, selon un décompte du Forum Helveticum.
Cette dernière année, le débat a été particulièrement vif. «L’enjeu linguistique ne comporte pas seulement une dimension pédagogique, il comprend une dimension symbolique et émotionnelle forte», analyse Christine Matthey. La Thurgovie a mis le feu aux poudres lorsqu’une motion a été adressée au Conseil d’Etat; elle le charge de supprimer l’enseignement du français en primaire pour le repousser à l’école secondaire. A Lucerne, une initiative est pendante, elle demande qu’une seule langue étrangère soit enseignée à l’école primaire. Des démarches similaires sont en cours dans d’autres cantons. En décembre dernier, la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national avait réagi en déposant deux initiatives: évoquant une intervention fédérale via la loi sur les langues, elles jouent le rôle d’épées de Damoclès sur la tête des cantons récalcitrants. La première demande que «l’apprentissage d’une deuxième langue nationale commence au plus tard deux ans avant la fin de la scolarité primaire»; la seconde exige que «la première langue étrangère enseignée [soit] une langue nationale.» Etait-ce un effet de cette pression? A Nidwald, en tout cas, une initiative du même type que la lucernoise a été balayée par 62% des voix en mars dernier.
Présidé par le conseiller aux Etats (PS/BE) Hans Stöckli, le groupe laissera passer les élections fédérales d’octobre pour entrer dans le vif de l’action. «Il représente une bonne base pour attaquer la prochaine législature», note Isabelle Chevalley. Actuellement, une trentaine d’élus fédéraux de plusieurs bords politiques et régions linguistiques y sont représentés, dont onze francophones.