Comment parler de «No Billag»: le casse-tête de la SSR
Médias
Pour ne pas prêter le flanc à la critique, la SSR a cessé toute campagne d’autopromotion sur ses chaînes, apparemment sur le «conseil» de l’Ofcom. A l’interne, la nervosité atteint son paroxysme

Lorsque, le 18 octobre dernier, le Conseil fédéral a abaissé le montant annuel de la redevance audiovisuelle à 365 francs, on s’est dit que sa ministre de la Communication, Doris Leuthard, avait marqué un point peut-être décisif dans la perspective de la votation sur l’initiative «No Billag». «Un franc par jour pour 60 chaînes de radio-TV en Suisse», tel était le slogan qui devait faire mouche et rassurer tout le monde. Deux semaines plus tard, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Partout à la SSR, la tension est à son comble.
Rendez-vous avec le destin
Le 4 mars prochain, le service public de l’audiovisuel a rendez-vous avec son destin. Bien que ses auteurs s’en défendent, «No Billag», qui abolit toute perception d’une redevance radio-TV, prend l’allure d’une initiative «tout ou rien». Dans un tel contexte, la SSR est sur les charbons ardents. Ses dirigeants ont édicté des directives strictes quant à l’attitude à adopter durant la campagne. Un seul mot d’ordre: le devoir de réserve.
Personne ne le confirme officiellement. Mais les téléphones ont chauffé entre l’Office fédéral de la communication (Ofcom) et la SSR ces derniers temps. Celle-ci, qui fait régulièrement des campagnes d’autopromotion sur ses chaînes, les a abruptement stoppées peu après la mi-octobre.
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Le rôle discret de l’Ofcom
Que s’est-il passé? Après l’annonce de la date de votation, la SSR a décidé de jouer la carte de la prudence. En Suisse romande, la RTS avait prévu de diffuser 18 spots en coproduction avec les TV régionales dans le cadre d’une campagne «témoignages». Elle en avait déjà diffusé six au moment de l’interruption. La RTS avait aussi planifié pareille autopromotion en radio, mais elle n’a pas eu le temps de commencer leur production.
«En période de campagne électorale, nous nous devons d’observer une grande retenue dans tout contenu qui pourrait être considéré comme étant en relation avec le scrutin», explique Edi Estermann, responsable de la communication de la SSR. «C’est la raison pour laquelle nous avons convenu de suspendre la diffusion des trailers sur nos antennes radio-TV, ainsi que sur nos médias numériques», ajoute-t-il.
La RTS prie ses collaborateurs de twitter «en dehors du temps de travail, d’éviter toute attaque directe et de garder leur calme»
Reste à savoir si l’Ofcom a fait pression sur la SSR dans ce sens. «Nous n’avons jamais donné de directives à la SSR à propos d’un éventuel droit de réserve. Nous ne disposons pas de telles compétences», fait-on savoir à l’Ofcom.
En fait, tout n’est pas si simple. Selon les informations du Temps, l’Ofcom a craint une plainte d’un citoyen qui aurait pu considérer ces spots autopromotionnels comme de la publicité politique. Il aurait donc «conseillé» à la SSR de prendre cette mesure de précaution, de manière à éviter de prêter le flanc à toute critique.
Le danger de l’instrumentalisation
L’épisode traduit l’insigne nervosité qui s’est emparée de la maison SSR. En Suisse alémanique, les journaux multiplient les articles au ton alarmiste, dissimulant parfois mal le plaisir de voir le «bulldozer SSR» connaître à son tour les mêmes craintes que la presse quant à son avenir. «La SSR se découvre des ennemis partout», titre le Tages-Anzeiger. «Une institution vacille», estime la Schweiz am Wochenende. Enfin, la NZZ am Sonntag cite des employés lui confiant: «Doris Leuthard est notre dernier espoir.» Comme s’ils ne faisaient plus confiance à leurs propres dirigeants pour convaincre la population de voter «non» à l’initiative.
Pour éviter tout dérapage de la part de ses collaborateurs, la SSR a édicté des lignes directrices à l’intention de ses 6000 employés. Elle leur enjoint de faire preuve d’un devoir de réserve lorsqu’ils sont en public et de s’en tenir à transmettre des informations factuelles. En Suisse romande, la RTS a envoyé un document de deux pages fixant les règles du jeu, notamment sur les réseaux sociaux. «Attention, toute intervention publique est pérenne et peut être instrumentalisée», avertit la direction. Celle-ci prie ses collaborateurs de twitter «en dehors du temps de travail, d’éviter toute attaque directe et de garder leur calme».
Un climat «anxiogène»
Difficile de respecter ces consignes strictes, il faut le reconnaître. Les journalistes de la SSR vivent mal cette campagne qui ne fait que commencer. La prochaine votation ne ressemble en rien à celle de juin 2015 qui ne portait que sur les modalités de la perception de la redevance: les collaborateurs du service public l’avaient vécue plutôt sereinement, malgré l’issue très serrée du scrutin. Cette fois, c’est l’existence du service public qui est en jeu et tous avouent un double malaise.
D’une part, le climat de travail est «très anxiogène». «Nombreux sont ceux qui craignent pour leur emploi, surtout ceux qui travaillent depuis longtemps dans la maison», dit un collaborateur alémanique. D’autre part, la perspective de l’initiative s’invite insidieusement dans toutes les discussions, avec le risque d’autocensure qui en découle. «Nous avons constamment peur d’être perçus par le public comme faisant campagne contre l’initiative, ce qui est malsain», confie un journaliste romand.
Quand Federer sert la SSR
Lors de la finale du tournoi de tennis de Bâle, Pierre-Alain Dupuis a souligné les mérites du service public pour mettre en exergue le sport suisse. Il s’est immédiatement fait moucher par un tweet de Philippe Nantermod (PLR/VS), membre du comité d’initiative de «No Billag». «Les commentateurs du match de Roger Federer en profitent pour faire campagne contre l’initiative. Tous les moyens sont bons», a-t-il persiflé.
«Dans ce cas-là, la SSR a franchi la ligne rouge», regrette le vice-président du PLR suisse qui – soit dit en passant – ne fera pas campagne activement, pour ne pas brouiller l’image d’un parti qui rejette majoritairement «No Billag». «Ses journalistes ont le droit de s’exprimer comme tous les citoyens, mais j’attends d’eux qu’ils n’abusent pas des chaînes concessionnées pour combattre l’initiative», renchérit-il.
En Suisse romande pourtant, où la RTS jouit toujours d’une bonne image y compris à l’UDC, l’inquiétude n’atteint pas le niveau du climat «parfois proche de la panique» qui règne en Suisse alémanique. Pour reprendre les termes de son nouveau patron, Pascal Crittin, «la votation n’est pas encore gagnée, mais gagnable». «Oui, grâce aux Romands», espère pour sa part un cadre alémanique!