Les frondeurs du Parti socialiste suisse ont perdu sur la forme. Les délégués du PS réunis samedi à Thoune sont largement entrés en matière sur un nouveau papier de position sur la «démocratie économique» qui ambitionne de concrétiser le «dépassement du capitalisme», orientation prise il y a six ans lors d'un congrès à Lausanne.

Si la critique envers le système capitaliste y est féroce, sur le fond toutefois, le papier de position contient 24 mesures qui s'inspirent davantage des bonnes pensées du film «Demain» que des aspirations des lanceurs de pavé de mai 68: défense des services publics, droits de codécision pour les collaborateurs, reconnaissance des proches aidants, réduction du temps de travail, renforcement du pouvoir des consommateurs, approvisionnement régional en énergie, etc. 

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Lutte des classes «du haut vers le bas» 

Le débat d'entrée en matière, passionné, a duré près de trois heures. Et pour cause: une polémique sur le papier de position est née suite aux propos tenus par le président du PS Christian Levrat, de retour de son séjour d'observateur du scrutin présidentiel aux Etats-Unis. Il a déclaré à un média alémanique que «la seule réponse à la xénophobie est le «Klassenkampf» (la lutte des classes)». Au sein de la direction du PS, on a indiqué ensuite que la formule tenait de la plaisanterie.

Samedi à Thoune, Christian Levrat n'a pas vraiment précisé sa pensée. Le Fribourgeois a botté en touche: «Si vous voulez vraiment parler de lutte des classes, elle n’est pas menée par des ouvriers qui envahissent les rues, mais depuis des bureaux feutrés. Elle est menée du haut vers le bas. C’est Warren Buffet qui le dit: «ma classe a gagné».»

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L'aile réaliste qui souhaite changer le système de l'intérieur et militait pour une «économie plus sociale» a tenté la fronde. Elle proposait de renvoyer le papier au comité directeur. «L'économie de marché ne comporte pas que de mauvaises choses. Ce sont les petits pas qui font que la réalité de nos vies s'améliore», a plaidé en vain la conseillère aux Etats Pascale Bruderer, rejointe par des ténors du parti, le sénateur Hans Stöckli ou encore la conseillère nationale Evi Allemann.

Tous trois voient aussi une énorme lacune dans le papier présenté par la direction du PS: «Il manque un point sur la digitalisation, la numérisation de l'économie qui va changer énormément de choses» a plaidé en vain Pascale Bruderer. Le comité directeur du Parti socialiste promet de compléter son papier sur ce point. Il définira d'ici l'an prochain les campagnes, éventuelles initiatives populaires, et interventions politiques jugées pertinentes pour défendre sa politique économique. 

Reconquérir l'électorat parti vers l'UDC

En toile de fond de ce débat sur l'économie, les délégués socialistes ont aussi dit leur malaise face à cet électorat censé lui être acquis mais qui le fuit. Ayant assisté sur sol américain à la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, le président Christian Levrat a confessé «avoir de la peine à dormir ces temps, car un vent glacial souffle sur le monde». 

Nous avons besoin d’un papier compréhensible. Le document présenté ici ne dit rien des soucis concrets de ceux qui travaillent au jour le jour et auraient besoin d’une réponse concrète

Critique envers la direction du parti, le conseiller aux Etats Claude Janiak (PS/BL) estime que ce n'est pas en musclant son programme que le PS retrouvera son électorat populaire, mais en simplifiant sa communication:  «L’objectif déclaré de la direction du PS est de convaincre les salariés qui sont allés à l’UDC de revenir au PS. Mais nous devons rendre notre politique plus compréhensible pour ceux qui nous ont quitté et montrer où nous avons obtenu des succès. (...) Nous avons besoin d’un papier compréhensible. Le document présenté ici ne dit rien des soucis concrets de ceux qui travaillent au jour le jour et auraient besoin d’une réponse concrète».

L'alternative, c'est nous

Elu au Conseil des Etats pour le canton de Zurich, le socialiste Daniel Jositsch a fustigé une «rhétorique de guerre» qui n'amène rien: «Si notre parti veut demeurer la seule grande alternative crédible à gauche du centre, nous ne pouvons pas procéder comme nous le faisons.»

Pour la Jeunesse socialiste (JUSO), seul un programme plus musclé et révolutionnaire permettra de reconquérir l'électorat perdu. «Lorsque Donald Trump ou Marine Le Pen critique le système, ils se posent ensuite comme une alternative. Posons-nous nous comme une alternative!» a plaidé la vice-présidente de la JUSO Muriel Waeger.