La décision du Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) avait surpris la Suisse en 2019. Depuis le début de la décennie, cette émanation du Conseil de l’Europe pointait du doigt le système politique helvétique pour son manque de transparence financière. Il avait entamé une procédure dite de non-conformité. Or, il a clos cette procédure en 2019.

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Que s’est-il passé pour justifier ce changement de cap? Les critiques du Greco sur l’opacité des flux financiers dans la vie politique suisse sont longtemps restées sans suite. Jusqu’à ce qu’un comité interpartis lance une initiative populaire en 2017. Le Parti socialiste, les Vert·e·s, le Parti évangélique, l’ex-Parti bourgeois-démocratique (PBD, désormais fondu dans Le Centre), le Parti pirate et diverses ONG sont derrière ce projet.

Discussions sur les montants

Le texte va assez loin. Il demande que les partis politiques représentés au parlement fédéral publient chaque année leur bilan et leurs comptes ainsi que l’origine de tous les dons dépassant 10 000 francs. Les particuliers et les comités politiques qui dépensent plus de 100 000 francs pour une campagne électorale ou pour un objet de votation devraient faire de même. L’acceptation de soutiens financiers anonymes serait interdite.

Sentant le vent du boulet, la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats (CIP-E) a déposé un contre-projet indirect, sous la forme d’une révision de la loi sur les droits politiques. C’était en 2019 et cela a suffi au Greco pour qu’il abandonne la procédure de non-conformité engagée contre la Suisse. Or, au moment où cette instance du Conseil de l’Europe a pris sa décision, nul ne savait si ce contre-projet obtiendrait le soutien du législatif.

Il a finalement vu juste: les Chambres fédérales ont fini par se mettre d’accord. Elles ont trouvé un compromis: les dons dépassant 15 000 francs devront être annoncés et les comptes de campagne devront être ouverts dès qu’ils dépassent 50 000 francs. Le Conseil national a approuvé cette nouvelle version mercredi matin. La version initiale de la CIP-E proposait des seuils de 25 000 francs pour la transparence des dons et de 250 000 francs pour les campagnes politiques.

L’initiative populaire sera retirée

Un point doit encore être réglé durant la présente session parlementaire; il concerne les membres du Conseil des Etats. Comme leur élection est régie par le droit cantonal, aucune règle ne peut leur être imposée par le droit fédéral. En revanche, le Conseil national aimerait soumettre les sénatrices et les sénateurs au devoir de transparence après leur élection, mais ceux-ci s’y opposent.

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On part néanmoins du principe que le contre-projet réussira son examen parlementaire. Dans ce cas, l’initiative populaire, qui figurait elle aussi à l’ordre du jour du Conseil national mercredi, sera retirée. Nadine Masshardt (PS/BE) a annoncé à la tribune que le comité d’initiative, dont elle est la coprésidente, avait décidé «à l’unanimité de retirer l’initiative si le contre-projet est accepté en vote final avec un seuil fixé à 15 000 francs».

Cela n’a pas empêché le Conseil national de débattre pendant près de trois heures d’une initiative populaire qui ne sera vraisemblablement jamais soumise au peuple. Il l’a finalement rejetée par 110 voix contre 73, la gauche lui ayant maintenu son soutien afin de faire pression pour que le contre-projet aboutisse définitivement.

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La Confédération rejoindra ainsi les cantons qui ont déjà édicté des règles de transparence à leur échelon. C’est le cas de Genève, du Tessin et de Neuchâtel et, plus récemment, des décisions politiques visant à apporter un peu de clarté dans la vie des partis ont été prises à Fribourg, à Schwytz et à Schaffhouse. Des projets sont également en discussion à Zurich, en Valais et dans le canton de Vaud.

Qu’est-ce que cela change? Pas grand-chose, signale le conseiller national Damien Cottier (PLR/NE): «Depuis que la règle de la publication des comptes des partis a été instaurée à Neuchâtel, une seule demande de consultation a été déposée. Elle émane du bureau du Grand Conseil, qui voulait s’assurer que ça fonctionnait!»

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