Les partisans du mariage pour tous espèrent que l'Allemagne inspirera la Suisse
Familles
Les premières unions homosexuelles qui viennent d’être célébrées à Berlin donnent de l’espoir aux défenseurs helvétiques du mariage pour tous. A leurs yeux, la Suisse a pris du retard

Les partisans de l’égalité devraient se réjouir. En célébrant il y a quelques jours son premier mariage homosexuel à Berlin, l’Allemagne rejoint la vingtaine d’Etats à l’avoir légalisé. L’exemple de l’Allemagne sera-il un tremplin pour la Suisse, lui permettant d’avancer dans la reconnaissance des familles arc-en-ciel? «Assurément, je suis quasiment sûr que cela va donner un sacré coup d’accélérateur!», déclare Thierry Delessert, chargé de cours à l’Université de Lausanne et spécialiste de l’histoire de l’homosexualité en Suisse: «Cela renforcera le sentiment de retard. Le fait que l’Allemagne ait franchi le pas montrera le chemin à un pays qui a toujours un peu suivi la législation allemande.»
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Depuis le partenariat enregistré, plus rien
En comparaison avec ses voisins européens, la Suisse est effectivement à la traîne. Bien qu’elle soit le premier Etat à avoir légalisé le partenariat enregistré par votation populaire en 2005, elle semble désormais stagner. Cette forme d’union confère aux couples de même sexe des droits inférieurs au cadre du mariage, en empêchant notamment l’adoption conjointe et la procréation médicalement assistée. C’est pourquoi les partisans de l’égalité signalent son côté stigmatisant: «Il y a actuellement deux types de citoyennes et citoyens. Ceux de première classe, qui ont accès à un mariage basé sur un système juridique solide et inclusif, et ceux qui se voient refuser ces droits», dénonce Mehdi Künzle, président de l’association vaudoise VoGay.
Par ailleurs, la Suisse fait figure de mauvaise élève dans la défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transgenres et intersexes (LGBTI). En effet, selon un classement de l’association ILGA-Europe, sur les 48 pays européens étudiés, le nôtre ne se place qu’en 26e position, derrière l’Albanie et la Bosnie. Ce mauvais rang est en partie dû à une absence de protection juridique, le Code pénal suisse ne reconnaissant pas l’homophobie comme un délit. Pourtant, Stop Suicide présente des chiffres alarmants: la probabilité de passer à l’acte est 2 à 5 fois plus élevée chez les jeunes bis et homos que chez les hétéros.
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La religion, une barrière?
Comment expliquer que des pays à forte tradition catholique tels que l’Espagne, la Belgique ou l’Irlande aient devancé la Suisse sur ces questions? Selon Thierry Delessert, la religion n’est pas nécessairement un frein à l’adoption du mariage pour tous: «Les chrétiens sont divisés sur la question. En Suisse, il existe certes une Eglise ultra-conservatrice, mais également une frange progressiste. Des Eglises protestantes genevoises et vaudoises ont pratiqué la bénédiction de plusieurs couples homosexuels.»
En outre, selon deux sondages suisses (GFS Zurich, Institut Léger), 70% des sondés proches du PDC se disent favorables à une légalisation du mariage pour tous. Il ne faut toutefois pas négliger la particularité du contexte espagnol, la fin du franquisme ayant permis toute une série de réformes sociales, notamment sur la procréation médicalement assistée.
Une vision traditionnelle du mariage
Le retard de la Suisse s’expliquerait plutôt par une conception traditionnelle de la famille et du mariage: «La Suisse tend effectivement à conserver la nature hétérosexuelle du mariage», affirme Marta Roca i Escoda, professeure en études genre à l’Université de Lausanne. Selon la chercheuse, «la législation suisse a une vision très naturaliste de la filiation. Les articles constitutionnels régulant la procréation médicalement assistée, restrictifs, renforcent l’idée que l’enfant ne peut naître qu’au sein d’un couple hétérosexuel.» Aux yeux des experts, cette conception se répercute dans l’espace public, comme l’illustrent les propos de certains politiciens sur «le sens historique du mariage».
Au parlement, deux ans de délai
Enfin, un facteur plus politique permet d’éclairer la lenteur d’adaptation suisse. L’élite politique suisse montre plus de réticences que d’autres à révéler publiquement son homosexualité. «Tandis qu’en Espagne et Belgique des coming out avaient déjà lieu dans les années 1980, en Suisse c’est un phénomène très récent, qui s’est déroulé dans le milieu des années 2000», explique Marta Roca i Escoda. Ce tabou a indéniablement eu des répercussions négatives sur l’avancée des droits des LGBTI, la question étant plus difficilement portée et défendue dans l’arène politique.
Néanmoins, bien qu’elle soit loin d’être au premier plan, la question du mariage pour tous figure à l’agenda politique suisse. En 2015, les Commissions des affaires juridiques des Chambres avaient décidé, malgré l’opposition de membres du PDC et de l’UDC, de donner suite à l’initiative parlementaire «Un mariage civil pour tous», lancée par les vert’libéraux en 2013. Cependant, les droits des LGBTI semblent constituer une préoccupation secondaire: en juin dernier, le parlement s’est accordé deux années supplémentaires pour traiter l’objet. Le président de VoGay met en garde: «Nous verrons comment les discussions évoluent, mais un mariage light sans adoption et sans procréation médicalement assistée, qui ne serait rien d’autre qu’un partenariat enregistré bis, n’est pas envisageable.»
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