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Le passeport suisse et moi. «Ils nous ont demandé si le bébé était désiré»

D'origine tutsie, André Ntashamaje est arrivé en 1963 en Suisse. «J'ai

D'origine tutsie, André Ntashamaje est arrivé en 1963 en Suisse. «J'ai passé cinq ans en Valais, suis reparti deux ans dans mon pays, puis ai débarqué dans les années 1970 à Fribourg. J'ai fini par déposer ma demande d'asile en 1973, me rendant compte que je ne pouvais plus vivre au Rwanda: il venait d'y avoir un coup d'Etat et la situation était difficile depuis 1959 déjà», raconte-t-il. André Ntashamaje, titulaire d'une licence en Lettres de l'Université de Fribourg, reçoit son permis C en 1975. Il enseigne l'anglais, le français et le latin au Collège de Champittet (VD) puis, dès 1976, au Collège du Sud de Bulle (FR). En 1978, il se marie à une Rwandaise et ils ont leur premier enfant deux ans plus tard. «Je n'avais plus de passeport rwandais depuis le dépôt de ma demande d'asile, et la situation ne s'améliorait pas au pays: nous ne voulions plus rester apatrides.» En 1981, le couple fait donc sa demande de naturalisation. «J'avais vu le film Faiseurs de Suisses et, s'il est très caricatural, je vous jure qu'il y a un fond de vérité!» dit celui qui siège aujourd'hui à la Commission des naturalisations du canton de Fribourg. En 1984, lui, sa femme et leurs deux enfants – le deuxième est né un mois après le début de la procédure – reçoivent leur passeport suisse. «J'ai payé pour la famille l'équivalent de 10 000 francs.» Il insiste sur l'importance, pour les candidats, de connaître le fonctionnement des institutions suisses. «Vous savez, certaines personnes croient que le système politique suisse ne peut que ressembler à la dictature qu'ils ont fuie.»

Pour lui, la procédure n'a pas été très compliquée. Actif dans la vie associative et politique locale – aujourd'hui député au Grand Conseil fribourgeois, il a auparavant siégé au Conseil communal de Bulle –, il a obtenu pas mal de soutien. «Mais j'ai vécu quelques moments désagréables lorsque la police est venue enquêter chez moi», admet-il. Le chef de la Sûreté ne voulait pas être reçu dans le salon, mais dans la cuisine. Il est parti à la recherche du moindre grain de poussière. «Mais ce que j'ai eu le plus de mal à avaler, c'est quand, le lendemain, il a appelé ma femme, enceinte, en lui demandant si l'enfant était vraiment désiré…» Ce n'est pas tout. Un membre de la Commission des naturalisations lui a demandé s'il arrivait vraiment à imaginer son fils à 20 ans sous les drapeaux. Un autre membre l'a tout de suite remis en place en soulignant que des Noirs avaient déjà effectué leur service militaire en Suisse. Et qu'il y en aura encore beaucoup d'autres. «D'ailleurs, mon fils a fait l'armée et je peux vous dire qu'il était très beau!» sourit le sexagénaire.