On a retrouvé la pierre d'Unspunnen! Ce symbole de l'Helvétie profonde, qui avait été «pris en otage» il y a quinze ans par des séparatistes jurassiens du Groupe Bélier, repose au fond d'un cellier bruxellois. Photographe bernois, Michaël von Graffenried était en train de réaliser un reportage destiné à commémorer les 20 ans de la création du canton du Jura, lorsqu'il a été mis sur la piste du précieux caillou par des «inconnus». Ses photos sont publiées cette semaine par la Schweizer Illustrierte et L'Illustré.
Le plus ancien «prisonnier politique suisse» n'avait pas été revu depuis le 3 juin 1984: ce jour-là, trois Béliers déterminés avaient dérobé la pierre d'Unspunnen, joyau du Musée touristique d'Unterseen, près d'Interlaken (BE). Profitant de la distraction d'un gardien, ils avaient fait passer les 83,5 kilos de granit par la fenêtre. La rançon avait été immédiatement réclamée: les districts bernois de Moutier, Courtelary et La Neuveville devaient être rattachés au canton du Jura. Depuis, plus rien.
«Quand j'ai voulu savoir ce qu'était devenue la pierre, les uns m'ont dit qu'elle avait été fragmentée et vendue par sachet de 50 centimes à la Fête du peuple, raconte Michaël von Graffenried. D'autres ont affirmé qu'elle reposait au fond du lac de Thoune. En fait, elle était au cœur de l'Europe.» Qui l'a mis sur sa piste? «Je n'ai jamais demandé de noms. Pour me protéger si la police devait m'interroger.» Du côté des Béliers, on affirme également n'être au courant de rien.
Invité à se rendre à Charleroy, près de Bruxelles, Michaël von Graffenried y a rencontré trois autonomistes wallons qui l'ont conduit, les yeux bandés, dans une cave à vin où reposait la pierre. «Elle était là, poussiéreuse, comme morte.» Si elle est encore en un seul morceau, la prisonnière a pourtant subi certains outrages: les douze étoiles du drapeau européen avec la date du «6.12.1992» ont été gravées sur ses flancs, ainsi que l'inscription «Groupe Bélier» suivie de l'emblème du groupe séparatiste.
Quinze ans après l'enlèvement, alors qu'une majorité des habitants de Moutier a préféré rester dans le giron de Berne, l'otage de pierre était presque oublié. A la très folklorique fête d'Unspunnen, où lutteurs et lanceurs de pierre s'affrontent tous les six ans depuis 1805, on lui a même trouvé un remplaçant: un caillou de forme et de poids presque identiques, trouvé dans le lit d'un affluent de l'Aar. Symboliquement défigurée et délestée de quelques kilos de granit, la pierre originale semble aujourd'hui avoir perdu son intérêt aux yeux des organisateurs de la fête. Michaël von Graffenried se prend à rêver: «Le 5 septembre, à Unspunnen, il faudrait que cette pierre réapparaisse et que les Bernois aient la grandeur de la lancer, même contaminée par la révolution jurassienne.»