Pierre Schaller: «La polémique sur les biocarburants nous sert»
ENERGIE
En recourant à des matières agricoles non vivrières, la Suisse est un élève modèle qui séduit les investisseurs, explique Pierre Schaller.
La polémique ne cesse d'enfler: les biocarburants sont accusés de contribuer à la crise alimentaire. En Suisse, pas plus tard que vendredi, Alliance Sud, une association d'œuvres d'entraide, a demandé la suspension de l'exonération fiscale de l'essence verte prévue par la loi dès le 1er juillet. Pourtant, assure Pierre Schaller, directeur d'Alcosuisse, le centre de profit de la Régie fédérale des alcools et organe promoteur des biocarburants, la Suisse est un élève modèle, qui se tourne vers une production du bioéthanol qui ne concurrence pas la filière alimentaire. Et à qui la polémique devrait profiter. Entretien.
Le Temps: La polémique qui touche les biocarburants, en cette période de crise alimentaire mondiale, ne cesse de s'étendre. Au point que certains observateurs affirment: «Les biocarburants, c'est fini...» Que leur répondez-vous?
Pierre Schaller:Qu'en Suisse, nous n'avons rien à nous reprocher. Nous avons toujours dit qu'il fallait produire à partir de matières agricoles, certes, parce que c'est un passage obligé, mais de matières agricoles de faible qualité, qui n'entrent pas en conflit avec la filière alimentaire. Par ailleurs, nous avons été très actifs pour l'élaboration d'une loi qui prévoit des critères de durabilité extrêmement stricts afin que le bioéthanol soit défiscalisé.
- Vous ne vous sentez donc pas concerné par le conflit entre nourriture et biocarburant?
- L'idée de projet pilote que nous avons élaboré porte sur deux phases: dans un premier temps, je l'ai dit, nous visons une production à partir de matières premières agricoles mais non vivrières. Dans un deuxième temps, nous souhaitons baser notre production d'éthanol sur la cellulose (déchets de bois). Nous avons mis au point avec l'usine de cellulose d'Attisholz (SO) une technique de production de bioéthanol, dite de la deuxième génération, qui n'a plus rien à voir avec l'agriculture. Malheureusement, cette installation a une capacité assez faible.
- Néanmoins, la crise alimentaire est alarmante. Et les dégâts d'image produits sur les biocarburants sont considérables...
- Cette affaire touche surtout les mauvais élèves, qui utilisent par exemple du grain céréalier ou des pommes de terre. Sans tomber dans le cynisme, cette polémique nous rend service. Au niveau des normes que nous avons édictées, nous sommes un modèle à l'échelle internationale. La loi suisse va dans le sens du développement durable. Elle impose les mêmes conditions pour les productions suisses et importées. Etant donné que nous ne pouvions pas nous protéger de produits étrangers subventionnés à coups de milliards, nous avons édicté des critères de durabilité (impact environnemental, conditions sociales de production et bilan énergétique) pour quiconque veut vendre du bioéthanol défiscalisé en Suisse. La concurrence sera en conséquence parfaitement loyale.
- Comment expliquer que les géants alimentaires, et notamment Nestlé, tirent à boulets rouges sur les biocarburants? Est-ce une question de prix des matières premières?
- Tout à fait. Monsieur Peter Brabeck (président de Nestlé, ndlr) a sans doute une sensibilité qui le pousse à condamner le fait que les Etats-Unis préfèrent désormais utiliser leur maïs pour fabriquer du bioéthanol plutôt que de l'exporter en Argentine ou au Mexique sous forme de denrée alimentaire. Mais il a avant tout intérêt à conserver des prix de production très bas.
- En 2006, vous disiez que des investisseurs étaient prêts à financer un projet d'usine de bioéthanol dans l'Arc jurassien. Où en est-on?
- A peu près au même niveau, puisqu'on attend toujours l'ordonnance, issue de la loi, qui déterminera les critères de production. Les investisseurs veulent savoir dans quelles conditions, et donc à quel prix, on peut importer de la matière première qui réponde à nos critères suisses. Tout cela pourrait n'aboutir qu'à la fin de l'année. Mais il est prématuré de dévoiler l'identité de ces investisseurs. Tous étrangers, ils apprécient la stabilité du pays et la qualité du savoir-faire suisse.
- Mais les conditions de production seront très contraignantes en Suisse, et la main-d'œuvre est chère. Pourquoi donc produire en Suisse?
- L'enjeu de la stabilité politique est important. Ensuite, je crois que nous avons fait un excellent travail d'information. La loi, certes sévère, prend tout son sens dans une logique de marché. Un produit certifié est aujourd'hui intéressant. Par exemple, le pétrolier français Total s'intéresse à nos activités. Parce qu'en travaillant avec le bois, nous nous situons précisément loin de la polémique qui fait rage chez ceux qui, en France notamment, produisent de l'éthanol à partir de cultures vivrières.
- Il y a un an, vous disiez qu'à terme un quart des automobilistes rouleraient avec une part de biocarburant dans leur réservoir. Maintenez-vous cet objectif?
- Soyons honnêtes: nous avons pris du retard. Mais ces retards nous ont permis de faire les bons choix, face à d'autres, à l'étranger, qui ont «foncé» dans la mauvaise direction, comme le montre justement la polémique qui a éclaté.
- Selon l'EPFZ, même si le prix des carburants atteignait 3.70 fr., et que la production des bioénergies sollicitait 80% des terres assolées en Suisse, la production de biocarburants n'équivaudrait qu'à 8% de la consommation d'énergies fossiles.
- Cette étude considère que nous prendrions le maïs comme matière première. Elle a donc déjà une guerre de retard. Car selon mon approche, il est exclu de produire, en Suisse, de l'éthanol à partir de maïs. Je propose aux chercheurs de revoir leur copie en tenant compte d'une technologie de la deuxième génération, telle que la cellulose, dont l'avenir est très prometteur.
- Pensez-vous que cette étude a été faite à dessein pour faire du tort aux biocarburants?
- Je ne veux pas me lancer dans de telles affirmations. Arrêtons d'idéologiser les choses. Face au problème environnemental, les biocarburants sont un passage obligé, parce qu'il n'y a pas d'autre technologie propre actuellement disponible. Nous avons un problème de CO2 issu de la mobilité qu'il faut résoudre sans limiter la mobilité. Et pour l'instant, le bioéthanol est une solution adéquate. En attendant mieux, peut-être. Sans doute.
- Peut-on aujourd'hui définir un prix à la pompe pour le futur bioéthanol suisse?
- Pas encore. Mais quel que soit ce prix, il aura une influence très faible sur le porte-monnaie du consommateur. Tout simplement parce que les gens, dans un premier temps, ne roulent qu'avec 5% de bioéthanol dans leur réservoir. Le coût du plein restera donc avant tout déterminé par le prix de l'essence.
- L'Office fédéral de l'environnement a montré que les voitures fonctionnant au bioéthanol sont les plus propres. Pourquoi le communiquez-vous si peu?
- Nous ne sommes pas (encore) armés pour le faire. Au Salon de l'auto, les stands des constructeurs sont envahis par des modèles de véhicules hybrides - fonctionnant avec un mélange d'essence traditionnelle et de biocarburant. Mieux vaut promouvoir les atouts d'une voiture que ceux, trop abstraits pour l'acheteur, du carburant. Nous, nous fixons les conditions cadres. Or, avec 150 stations service qui distribuent du bioéthanol, nous avons un réseau proportionnellement plus dense que l'Allemagne et la France. Alors que nous ne sommes que dans une phase pilote...