Aide aux médias
Grâce à une redevance rapportant 1,45 milliard de francs en 2020, le Conseil fédéral a pu aider la SSR, alors qu’il a jusqu’ici ignoré les doléances des médias privés. Président des éditeurs alémaniques, Pietro Supino réagit

Le 16 avril dernier, la ministre des Télécommunications Simonetta Sommaruga s’est réjouie de pouvoir offrir à la population une réduction de 30 francs par ménage sur la redevance radio-TV, de même qu’une rallonge de 50 millions à la SSR en proie à une chute de ses revenus publicitaires. La nouvelle a surpris, car lorsqu’elle avait lancé en 2017 la campagne contre l’initiative «No Billag», qui voulait supprimer la redevance radio-TV, sa prédécesseure Doris Leuthard avait promis de plafonner le produit de la redevance à 1,2 milliard pour la SSR jusqu’en 2022.
Trois ans plus tard pourtant, le Conseil fédéral revient en arrière en précisant qu’il était prévu de réexaminer le montant de la redevance en 2020, puis tous les deux ans. Pour la première fois, l’Office fédéral de la communication (Ofcom) révèle également un chiffre jusque-là tenu secret. Il estime que la nouvelle redevance, élargie en 2019 à tous les ménages, rapportera 1,45 milliard de francs cette année. Ce montant permet à Simonetta Sommaruga de faire coup double: se porter au chevet de la SSR tout en abaissant encore la redevance à 335 francs par ménage dès 2021.
Divergences sur l’aide aux médias privés
Mais en soutenant si vite la SSR, le Conseil fédéral a suscité l’ire des médias privés, pour lesquels il a renoncé à une aide d’urgence de 78 millions le 1er avril dernier. Les associations des médias électroniques privés se sont dès lors adressées aux Commissions des transports et des télécommunications (CTT) des deux Chambres. «Depuis le début de la crise du coronavirus, les recettes publicitaires des radios et télévisions ont chuté de 60 à 90%. La situation est dramatique», écrivent-elles. Ce jeudi 23 avril, la commission du Conseil des Etats a corrigé le tir en proposant d’accorder une aide d’urgence de 60 à 70 millions aux médias privés.
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Pour la première fois, le président des éditeurs alémaniques et président du conseil d’administration de TX Group, Pietro Supino, s’exprime sur les récentes décisions du Conseil fédéral.
Le Temps: En accordant 50 millions de plus à la SSR, le Conseil fédéral a-t-il rompu sa promesse de plafonner la part de la redevance à 1,2 milliard?
Pietro Supino: Non seulement le Conseil fédéral a rompu la promesse faite en 2017 en pleine campagne contre «No Billag», mais il le fait à un moment où les médias privés luttent pour leur survie. L’argument selon lequel il s’agit de compenser en partie la baisse des recettes publicitaires de la SSR peut être pris comme une provocation puisque rien de concret n’a encore été fait pour la presse. On ignore encore ce qui va être mis en œuvre concrètement dans le cadre du projet de mesures d’aide aux médias du Conseil fédéral et surtout quand ce sera le cas. Il est donc incompréhensible de commencer par renforcer la SSR qui fait une concurrence massive aux médias privés avec son offre digitale gratuite.
La diversité du paysage médiatique va ressortir appauvrie de cette crise et il sera trop tard pour y remédier
Que pensez-vous de la décision du Conseil fédéral de renoncer à une aide d’urgence pour les médias privés?
Nous regrettons que, malgré le rôle fondamental joué par les médias privés en cette période de crise, le Conseil fédéral ait estimé qu’ils devaient faire appel aux mêmes mesures de soutien que les autres secteurs de l’économie. Tout le monde reconnaît la qualité du travail journalistique que fournissent ces médias depuis le mois de mars dans des conditions difficiles. Mais peu considèrent l’effondrement catastrophique des recettes publicitaires comme suffisant pour justifier une aide d’urgence. La diversité du paysage médiatique va ressortir appauvrie de cette crise et il sera trop tard pour y remédier. Nous n’avons d’ailleurs pas encore renoncé à demander une aide d’urgence.
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Le fait que TX Group ait distribué des dividendes pour 2019 à ses actionnaires aurait-il pu jouer un rôle négatif dans la décision du Conseil fédéral?
Non, je ne le pense pas. Preuve en est que le Conseil fédéral a refusé le projet d’aide d’urgence aux médias présenté par Simonetta Sommaruga avant que les assemblées générales de TX Group et de la Neue Zürcher Zeitung votent en faveur du versement d’un dividende pour 2019. La présidente de la Confédération a été très claire sur ce point: l’aide d’urgence aux médias privés a été écartée au motif que les mesures de soutien pour l’ensemble des secteurs de l’économie en difficulté devaient être privilégiées, en particulier le chômage partiel. Cela étant, que le Conseil fédéral ne remette pas en question la distribution de dividendes pour 2019 s’explique aussi par le fait que la Confédération a voté en faveur d’une telle distribution tant pour La Poste que pour Swisscom.
Nous continuons à privilégier une augmentation significative de l’aide indirecte à la presse, soit un soutien à la distribution
Le Conseil fédéral doit désormais présenter un paquet d’aide structurelle aux médias. Quelle piste privilégiez-vous?
Nous continuons à privilégier une augmentation significative de l’aide indirecte à la presse, soit un soutien à la distribution. Comme nous le martelons depuis deux ans, c’est la meilleure option pour un soutien efficace et rapide. Différentes pistes ont été examinées et discutées au parlement. C’est celle qui a été retenue pour le court et moyen terme. Mais il est indispensable d’y inclure la distribution matinale, qui représente des coûts importants pour les éditeurs garantissant une distribution des journaux avant midi. Au total, cette mesure devrait avoisiner les 80 millions. Cela devient très raisonnable par comparaison avec les 50 millions accordés à la SSR.