Le plagiat, sans même y penser

Neuchâtel Les enquêtes administratives lancées par le Conseil d’Etat sont bouclées

Dans un ouvrage signé, mais pas rédigé directement par un professeur d’économie, des passages d’autres livres ont été repris, sans citation des sources

La nouvelle ministre de la Formation, la socialiste Monika Maire-Hefti, marche sur des œufs, en devant démêler l’écheveau des inimitiés qui empoisonne la Faculté des sciences économiques de l’Université de Neuchâtel. Des enseignants se disent mobbés, d’autres accusent leurs collègues de plagiat. Malgré des rapports d’expertise, difficile d’y voir clair. La ministre montre qu’elle entend «prendre [ses] responsabilités», mais faute de disposer de tous les éléments, ou avant d’avoir entendu l’enseignant poursuivi pour plagiat, elle doit se contenter d’appréciations qui manquent de clarté.

Il y a près d’une année, le Conseil de l’université lançait une enquête préliminaire interne à la Faculté des sciences économiques, qui n’aboutissait à pas grand-chose. Pourtant, en avril, le rectorat relevait de ses fonctions le décanat et le remplaçait, à titre intérimaire, par un vice-recteur et un professeur. En avril toujours, le Conseil d’Etat – l’ancien, avant les élections – ouvrait deux enquêtes administratives, l’une pour mobbing et l’autre pour plagiat, un professeur d’économie étant soupçonné d’avoir repris, dans son ouvrage La Suisse qui gagne – qui servait de base à son enseignement –, des passages d’autres rapports sans les citer. Le Matin a dénoncé un «plagiat hallucinant», ce qui lui a valu la plainte de l’enseignant incriminé et a généré, en août, la perquisition du procureur au domicile du journaliste Ludovic Rocchi.

Concernant le mobbing, suivant l’avis des experts, le Conseil d’Etat constate que «les informations à disposition ne permettent pas d’établir si tous les éléments clés sont réunis.» Le gouvernement demande au rectorat de tout faire pour ramener la sérénité, de revoir des cahiers des charges, de mieux gérer les conflits, de concentrer les activités de la Faculté des sciences économiques sur moins de sites et d’organiser l’élection d’un nouveau décanat. La nouvelle loi cantonale sur l’université, attendue début 2014, devrait mieux cadrer les activités et réduire les sources de conflit.

L’examen du soupçon de plagiat a d’abord été confié au professeur de l’Université de Venise Camillo Trevisan, qui a recensé les passages suspects. Puis, sur mandat du gouvernement, le professeur à l’Université de Lausanne Ivan Cherpillod a été chargé de qualifier les «copiés-collés» mis au jour. Constat: La Suisse qui gagne n’est pas un plagiat général. «Entre 10 et 15 des 400 pages de l’ouvrage posent problème», dit-il. Il affirme avoir relevé cinq cas «partiels» de plagiat, deux cas de violation du droit de citation et un cas d’«auto-plagiat». Avec des circonstances particulières, qui font que l’accusation de plagiat tombe au profit de la négligence.

Le professeur incriminé avait confié l’écriture de son ouvrage à un rédacteur retraité qui, pour rendre le livre plus facile d’accès, a supprimé plus de cent références de bas de page et intégré dans le texte des «encadrés» fournis par l’enseignant, encadrés correspondant à la reprise de rapports dont il n’était pas l’auteur. Pour l’auto-plagiat, le professeur a repris un texte qu’il avait rédigé auparavant avec deux coauteurs, sans les citer. «Les cas où on peut voir du plagiat ne sont pas le fait du professeur», relève l’expert Cherpillod. Ajoutant: «Mais n’aurait-il pas dû faire preuve de plus de vigilance?»

Autre reproche fait au professeur d’économie: il dit, dans son curriculum vitae, avoir écrit un autre ouvrage, Profession, redresseur de PME, alors que ce livre n’a pas été publié, sinon à une dizaine d’exemplaires, dont deux figurent à la Bibliothèque nationale de Tunisie. «Il s’agit d’une entorse au principe de véracité, mais l’ouvrage existe bel et bien», nuance l’expert.

Pas facile, pour Monika Maire-Hefti, de prendre position. Ce d’autant qu’elle a décidé de communiquer avant que les «parties» aient été entendues sur les conclusions des experts. Tout au plus constate-t-elle que l’accusation de «plagiat hallucinant», selon Le Matin, n’est pas conforme à la réalité. Après avoir entendu le professeur d’économie, ajoute-t-elle, «le Conseil d’Etat décidera et prendra ses responsabilités».

L’avocat du professeur d’économie, actuellement en congé maladie, jubile et estime que le rapport conduit à «la réhabilitation» de son client, affirmant que «jamais un professeur d’université n’aura été autant traîné injustement dans la boue», et clamant que le rapport des experts «parvient à la conclusion qu’il n’y a pas eu de plagiat de sa part».

«Entre 10 et 15 pages sur 400 posent problème»