Les luttes contre les discriminations raciales et sexuelles sont intrinsèquement liées, même s’il ne faut pas les confondre, avertit Rosita. De sang angolais et congolais, la jeune femme fait partie du collectif des femmes «racisées», un groupement invité ce dimanche à occuper la place de la Riponne, à Lausanne, un an après la grève des femmes du 14 juin 2019.

Rosita qui électrise la foule rassemblée au cœur de la ville en chantant a cappella «Je suis une femme de couleur». Rosita toujours qui précise que si les deux mouvements sont proches, c’est parce que «les maux viennent de la même plaie». Un capitalisme qui en prend pour son grade ce dimanche après-midi.

Victimes d’une «double discrimination»

Si ces causes s’entremêlent dans la capitale vaudoise, ce n’est pas uniquement à cause de la mort, il y a trois semaines, de George Floyd, cet Afro-Américain asphyxié sous le genou d’un policier blanc. «Nous voulions depuis longtemps nous positionner de façon concrète sur ces questions raciales, explique Laura Boret, membre du collectif de la grève des femmes, et donner plus d’espace à ces femmes qui subissent une double discrimination.»

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Ayant à cœur de «leur donner la parole plutôt que de parler à leur place», les organisatrices de la journée ont donc confié les rênes de la Riponne aux militantes afro-féministes. Des femmes qui ne se sont pas fait prier, embarquant d’ailleurs des Kurdes avec elles. Le succès est au rendez-vous. Le lieu est très vite devenu l’épicentre d’un rendez-vous organisé sur plusieurs sites, coronavirus oblige.

«On sent notamment chez les jeunes que les différentes causes convergent», constate une psychologue croisée à La Sallaz, au nord de la ville, où une centaine de personnes rendent hommage aux travailleuses mobilisées pendant la pandémie. Mère de deux jeunes adultes, cette habituée des manifestations observe que la nouvelle génération se montre très sensible au racisme ou aux discriminations subies par les homosexuels.

Vision différente du féminisme

«Féminisme, antiracisme». Sur les pancartes ou dans les bouches, ces slogans se côtoient donc à la Riponne où 1500 à 2000 personnes ont été décomptées durant l’après-midi. Rien à voir évidemment avec les 60 000 personnes qui défilaient il y a une année dans les rues du chef-lieu vaudois.

Plus qu’un essoufflement, c’est le coronavirus qui est passé par là, le collectif s’étant résigné à miser sur une succession d’événements ponctuée par une action nationale à 15h24: l’heure à partir de laquelle, selon les statistiques, les femmes ne sont plus payées en raison des inégalités salariales qui perdurent. A cette heure précise, des milliers de personnes ont manifesté leur mécontentement dans plusieurs villes du pays. A Genève, un énorme cri de protestation parcourra par exemple la plaine de Plainpalais où plus de 2000 manifestantes se sont rassemblées.

Mais avant cette échéance, ce sont donc les femmes africaines qui étaient au cœur de l’attention au centre de Lausanne. Ces femmes dont les «vies comptent aussi». Ces femmes qui, pour beaucoup, avaient bravé la pluie la veille pour se retrouver au même endroit et manifester contre les violences policières et antiraciales.

Ces femmes qui, précise la chanteuse Rosita, peuvent épouser dans une certaine mesure le féminisme européen, mais s’en distinguent également: «Toutes les discussions autour du corps et de son droit d’en disposer ne sont par exemple pas aussi présentes chez nous.»

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Chez elles, l’émancipation de la femme se superpose en revanche à la lutte contre la discrimination raciale. «Un racisme qui existe aussi en Suisse», scande sa tante, la Congolaise Lobali Matewa, établie depuis plus de quarante ans en Suisse: face à la police, à l’heure de trouver un emploi ou un appartement, les personnes d’une autre race ne disposent clairement pas des mêmes chances.

La mort du capitalisme

Les deux femmes souhaitent que ce week-end soit celui de la «prise de conscience». Comment dépasser cette étape? La question taraude bien des militantes rassemblées ce dimanche à Lausanne. Pour Naomi, autre Afro-Suisse présente, cela ne se fera pas sans la mort du capitalisme.

Mais c’est surtout sur cette jeunesse qui se mobilise derrière le climat que beaucoup portent leur espoir. «Une jeunesse qui a compris ce qui ne va pas», veut croire Lobali Matewa. Cette jeunesse à qui, dit-elle, il faut inculquer le civisme, à qui il faut cesser de raconter le peuple noir en le réduisant au seul épisode de l’esclavagisme, l’imprimant ainsi dans l’esprit collectif comme une race inférieure.

Celle qui est aussi la maman de Lucas Matewa, hockeyeur au HC Lugano, se souvient des précédentes vagues de mobilisation contre les violences raciales ou les inégalités sexuelles. «On finira par avoir gain de cause, promet-elle. La preuve que ça évolue, conclut-elle en souriant, une femme ne doit plus demander à son mari pour aller travailler.»

Les militantes de la grève féministe n’ont en tout cas pas l’intention d’en rester là. Après une édition affaiblie par la pandémie, elles espèrent bien renouer en 2021 avec le tsunami violet de l’année dernière.

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