Polanski et ceux par qui l’accusation arrive
Affaire Polanski
Dans son récent appel, le cinéaste Roman Polanski mettait en cause la justice californienne, l’accusant de chercher la notoriété à ses dépens. Deux hommes sont au centre de la polémique: les procureurs de Los Angeles
C’était un moment de gloire, sinon la consécration d’une carrière. Parmi une vingtaine d’autres, David Walgren recevait le titre de «procureur adjoint du mois», en décembre 2001. Un couronnement symbolique, accordé par ses collègues du district de Los Angeles. Dans une affaire digne d’un film noir de Hollywood, il y était question du meurtre d’une prostituée, d’un trafiquant de drogue mexicain, d’un couple de travestis et d’un voyeur planqué derrière les rideaux d’une chambre d’hôtel. S’emparant de l’affaire, David Walgren, qui avait rejoint le bureau des adjoints du procureur cinq ans plus tôt, avait repassé «méticuleusement» le volumineux dossier. Bougeant ciel et terre, il avait refusé de lâcher prise malgré le décès du principal témoin (le voyeur). Grâce à son adjoint, se félicitait son chef Steve Cooley dans son «rapport au peuple» annuel, le jury avait fini par se laisser convaincre, infligeant une peine de 35 ans de prison ferme au meurtrier mexicain.
Aujourd’hui, aussi bien Steve Cooley que son adjoint sont au centre d’une autre affaire, autrement plus médiatique. Dans son appel lancé depuis sa maison de Gstaad, le lundi 3 mai, Roman Polanski mettait en question les deux hommes, les accusant d’être en quête de «notoriété médiatique» à ses dépens. De fait, Cooley est en campagne depuis des mois, visant le poste de procureur de l’Etat de Californie, qui ferait de lui le personnage public le plus influent de l’Etat après le gouverneur. Walgren, lui, cherche à devenir juge. A Los Angeles, les avis sur les deux hommes sont divisés. On leur reconnaît des succès certains. Mais personne n’est dupe de l’atmosphère de compétition politique qui entoure leurs actions.
Le procureur Cooley est un républicain dont la poigne de fer a assuré la réélection à deux reprises. Dans une ville gangrenée par les activités des gangs, la criminalité et la corruption, il prône une politique dure, mais jugée encore trop laxiste par les membres de son propre parti. Il a fait de la fermeture des dispensaires de marijuana l’un de ses principaux chevaux de bataille, tandis que d’autres rêvent en Californie d’une légalisation complète. Mais, dans le même temps, il s’oppose aussi aux très fortes peines de prison qui frappent aujourd’hui les petits délinquants californiens récidivistes. Cet ancien officier de police de réserve est cassant sur la forme, déterminé sur le fond. Du bout des lèvres, le Los Angeles Times vient d’en faire son candidat aux élections de juin prochain. Un choix par défaut: ses adversaires républicains, notait ce journal plutôt à gauche, feraient passer Cooley pour un enfant de chœur.
«Par le passé, Steve Cooley a plutôt laissé le devant de la scène à ses adjoints. C’est quelqu’un que peu de gens reconnaissent dans la rue, aujourd’hui encore. Il se voit lui-même comme un responsable intègre, préoccupé avant tout par le bon fonctionnement de la maison. Mais l’affaire Polanski est arrivée au bon moment pour lui. Elle lui donne un surplus de renommée», commente prudemment un avocat, qui a souvent affaire avec le bureau du procureur et ne veut pas révéler son nom.
Le procureur dirige une armée de quelque 1000 adjoints et de 300 enquêteurs. Mais c’est une armée en pleine rébellion. Un juge fédéral a donné raison à des centaines de ses subalternes qui s’estimaient largement discriminés du fait qu’ils étaient membres d’un syndicat. Systématiquement, ils ont été mutés dans des coins reculés du comté, ont vu croître leurs retenues de salaire, ont été moins bien notés que leurs collègues, a admis le juge. «Lorsque vous dormez avec de la merde, vous sentez la merde», leur avait signalé le procureur lorsqu’ils s’étaient adressés à lui.
David Walgren n’est pas soupçonné par son chef d’appartenir à ce même monde malodorant. Cet adjoint a laissé aujourd’hui le monde de la petite délinquance pour travailler dans la division des «crimes majeurs» au sein du bureau du procureur. Dans l’affaire Michael Jackson, son supérieur l’a laissé monopoliser l’attention et requérir la condamnation de son médecin pour «négligence grave». Pour le bureau du procureur, ce cas revêt une importance particulière: il n’est pas sans rappeler un autre procès célèbre, dans lequel le prédécesseur de Cooley n’était pas parvenu à mettre sous les verrous un certain O. J. Simpson. Pour Walgren lui-même, l’affaire n’est pas moins importante: cherchant à grimper les échelons, il a obtenu des lettres de soutien d’une longue série de juges. Y compris de celui qui est en charge de ce dossier…
De même, dans l’affaire Polanski, le procureur adjoint est monté pratiquement seul au créneau, n’hésitant pas à enflammer le dossier en qualifiant le cinéaste de «violeur d’enfants», de «criminel» et de «fugitif». Le «rappel des faits» qu’il a lu devant le juge était à ce point détaillée sur les «actes de copulation» reprochés à Polanski, que les agences de presse qui l’ont reproduit l’ont accompagné d’une mise en garde sur son «contenu sexuellement explicite», comparable à celles qui précèdent la diffusion de films pornographiques.
«Nous avons été consistants dans cette affaire. Nous voulons vraiment que Polanski soit appréhendé, assurait Steve Cooley dans la presse californienne, en faisant référence au travail de son adjoint. Nous poursuivrons cette affaire jusqu’à son terme.»