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«La police genevoise a été trompée», dit le président de son syndicat

Christian Antonietti incarne l’opposition à la loi qui chamboule l’institution. Il a pris sa retraite et investit toute son énergie dans ce combat

© Dessin original de Patrick Tondeux
© Dessin original de Patrick Tondeux

Déjeuner avec Christian Antonietti

«La police genevoise a été trompée»

Le président du syndicat des gendarmes incarne l’opposition à la loi qui chamboule l’institution

Il a pris sa retraite et investit toute son énergie dans ce combat

Entre longeole et poisson, il n’hésite pas un seul instant. Va pour le plat le plus typique et surtout le plus consistant. Car Christian Antonietti, président de l’Union du personnel du corps de police (UPCP) ou, plus simplement dit, le très puissant syndicat des gendarmes, a besoin d’énergie pour affronter la campagne de votation qui fait rage à Genève. Homme de conviction, au franc-parler et à l’obstination intacts, il incarne désormais, presque à lui tout seul, l’opposition de la profession à cette loi qui redéfinit les missions et redessine l’organisation des forces de l’ordre.

Pour évoquer ce scrutin du 8 mars, Christian Antonietti a choisi le cadre «feutré» du restaurant de l’hôtel Ramada Encore, «The Hub», situé au sein du centre commercial de La Praille, à un escalator des locaux du syndicat. Il s’y sent chez lui, sa table est toujours prête et tout le monde le tutoie. Il arrive en t-shirt malgré le virus qui a osé l’effleurer la semaine passée. Pas de quoi affaiblir cet ancien du groupe d’intervention de la gendarmerie et grand sportif. Natation, hockey, judo, ju-jitsu, la liste de ses spécialités est longue.

Sous cet amas de muscles se cache un cœur tendre. A la simple évocation de la restitution de son uniforme de brigadier remplaçant chef de poste en août dernier, les yeux bleus de ce jeune retraité de 53 ans s’embuent. «J’aurais pu repousser ce moment, mais j’étais fatigué et je ne voulais surtout pas finir aigri. Mais cela m’a vraiment fait mal au cœur.»

Difficile pourtant d’imaginer l’amertume gagner cet homme qui s’apprête à se marier pour la troisième fois, a déjà sept enfants en comptant les familles recomposées, et cultive une passion pour les champignons. Encore plus inattendu, Christian Antonietti a l’âme littéraire: «Quand le fardeau devient insupportable, j’écris des poèmes.» Il remercie encore le sévère enseignant qui a essayé de lui inculquer l’orthographe et le goût de l’expression lors de sa formation.

Une gorgée de bière plus tard, Christian Antonietti plonge dans son passé. «J’avais 15 ans lorsque je suis entré dans la gendarmerie comme apprenti. C’était en 1977. La première matinée était consacrée au coiffeur et au garde-à-vous. Je suis rentré à la maison en pleurant, mais ma maman m’a obligé à y retourner.» Il ne regrette rien de cette longue carrière où il a aussi servi à la sécurité routière et à la brigade éducation et prévention. «La brigade des Sugus», dans le langage maison.

A son métier, le policier a ajouté la casquette du syndicaliste jusqu’au-boutiste, dans la plus pure tradition de l’UPCP. Cinq ans déjà à la tête de la corporation. C’est long. «J’ai été pris au piège. Personne ne voulait prendre ma place. J’ai accepté une réélection au printemps dernier car le moment était particulièrement délicat.» Il se trouve être le premier retraité à conserver cette présidence. Une situation compliquée. Les locaux de l’institution lui sont désormais fermés. «Je n’ai plus le même accès qu’avant et le policier qui m’a fait entrer a dû se justifier d’avoir amené un intrus.» Il sourit.

Sanguin mais peu rancunier, il avoue tout de même de petites blessures de campagne. Ainsi le syndicaliste accepte mal le titre de «Líder Maxímo» dont il a été récemment affublé. «Je ne suis pas un dictateur. On me donne des mandats et je les exécute au mieux.» Au mieux, dans son esprit, veut certainement dire avec fougue. C’est ainsi que Christian Antonietti ne rate pas une séance à l’Etat, bat le pavé avec son mégaphone lorsqu’il s’agit de dénoncer les conditions de travail des gardiens de prison (dont l’UPCP s’occupe aussi), crie avec tous les fonctionnaires contre les défauts de la future grille salariale et lance un référendum contre la loi sur la police adoptée cet automne par le parlement.

La préservation des acquis des policiers est bien entendu au cœur de son action. Mais pas seulement. «L’injustice me tord les viscères», explique-t-il en goûtant au gratin de cardons. D’ailleurs, Christian Antonietti s’est toujours senti un homme de gauche. «J’aime être au service des autres et me battre pour l’équité.» Il n’a pas pour autant envie de faire de la politique, même s’il se dit courtisé par plusieurs partis. «Le MCG bien sûr, mais d’autres aussi.» Devenu la bête noire de Pierre Maudet, un ministre de la Sécurité avec lequel il dit avoir beaucoup de peine à dialoguer, comme d’ailleurs avec le reste du Conseil d’Etat, Christian Antonietti ne s’embarrasse pas de certaines contradictions. Certes, le syndicat a retourné sa veste sur la loi sur la police. Mais c’est uniquement parce qu’il a été «trompé sur la marchandise» et qu’il veut défendre l’existence du corps de la gendarmerie – «cet enfant de la République» – envers et contre tout.

Au moment de se laisser tenter par un dessert, il préfère le seul café. L’après-midi s’annonce long. Il va «tracter», comme il dit. Distribuer sa parole et aussi des barres de chocolat. C’est devenu le symbole de la lutte policière. Un peu plus sympathique que la grève du rasage et de l’uniforme qui avait passablement agacé la population. Mais Christian Antonietti se montre rassuré. Au contact du citoyen, il n’a pas senti de rancœur particulière. Il est même assez optimiste et prend un plaisir évident à cette campagne.

«Je m’éclate comme un petit fou», avoue le meneur de fronde. Son regard s’allume encore plus lorsqu’il énumère tout ce que lui apporte l’exercice. Il a imaginé les affiches, il s’est familiarisé avec les réseaux sociaux, il a construit et alimenté un site internet, il a appris à communiquer et à nuancer (pas beaucoup), il a côtoyé des gens de tous les milieux et il adore ça.

Et si tous ces efforts échouent dans les urnes? Christian Antonietti s’en remettra. «Avant Noël, une agente de détention désespérée est venue voir le syndicat. Elle voulait se pendre. Je suis beaucoup plus fier de ce que j’ai fait à ce moment-là pour la soutenir que de tout le reste. C’est cette mission, au sens noble du terme, qui compte le plus.» Pour une fois, on ne le contredira pas.

«Je ne suis pas un dictateur. On me donne des mandats et je les exécute au mieux»