Les policiers tessinois disposeront dès cet automne de mini-caméras personnelles fixées sur leur appareil radio. Enclenchables manuellement, elles doivent permettre de dissuader les fauteurs de troubles qui sévissent en marge des matches de football et de hockey sur glace et, le cas échéant, de faciliter leur identification. Le projet, encore confidentiel, est décrit comme «un test». S’il est concluant, l’utilisation des caméras pourrait être institutionnalisée.
Comme le sujet est sensible, il est difficile d’en savoir plus. Conseiller d’Etat chargé de la police, Luigi Pedrazzini fait simplement savoir par l’intermédiaire de son secrétariat que le projet n’est «pas encore finalisé politiquement». Le porte-parole de la police cantonale, Marco Frei, est à peine plus disert. Il précise que «l’été va être mis à profit pour tirer au clair tous les problèmes juridiques relatifs à la protection des données et à la base légale nécessaire pour l’utilisation du dispositif». Mais comme le test est encore en phase préparatoire, «il est trop tôt pour aborder des questions comme le coût, le poids, la taille et les autres caractéristiques techniques des caméras».
Caméscopes et sphère privée
Utilisées depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, introduites depuis peu en France (lire ci-contre), les mini-caméras personnelles relancent le débat sur le respect de la sphère privée et la protection des données. Jusqu’ici, la question était confinée à l’utilisation de caméscopes lors des manifestations et rencontres sportives «à risque». Plusieurs cantons ont adopté des dispositions qui permettent à la police de filmer ou photographier la foule, mais à des conditions très strictes.
A Neuchâtel, la loi sur la police (LPol) stipule à l’article 58 que l’usage de caméras est possible si les autorités craignent «de graves troubles de l’ordre public». Les images doivent être détruites «dès qu’il est établi qu’elles ne seront pas utilisées pour la poursuite d’infractions […] au plus tard, si aucune enquête n’a été ouverte, trois mois après les événements». La police neuchâteloise a fait un usage modéré de cette ouverture. «La première fois que nous avons filmé la foule, c’était lors de la présence de l’équipe du Portugal pendant l’Euro 2008», détaille le lieutenant-colonel Ivan Keller.
Signe reconnaissable
A Genève, la LPol prévoit une disposition similaire. Seule nuance: les images doivent être détruites après un mois s’il n’y a pas eu de dépôt de plainte. «L’usage des caméras est assez courant, nous avons des hommes formés spécialement pour cela, souligne Jean-Philippe Brandt, chef du service de presse de la police cantonale genevoise. Cela nous est utile dans trois situations: pour des prises de vue à titre préventif, en cas de flagrant délit de déprédation ou en cas de voie de fait sur un policier.»
L’apparition de caméras «embarquées» sur la radio ou l’oreille des policiers rendrait la situation plus complexe. Il ne s’agirait plus d’avoir deux ou trois films par intervention délicate, mais quinze ou vingt, le plus souvent au cœur de l’action. «Cela nécessiterait une base légale qui va au-delà de l’article 58 de la LPol, considère le préposé neuchâtelois à la protection des données, Laurent Margot. Cela n’est pas imaginable sans l’ouverture d’un débat politique dans les cantons où la question devrait se poser.»
Son homologue fribourgeoise Dominique Nouveau Stoffel se dit «interpellée» par le projet tessinois. Selon elle, une base légale adéquate ne suffit pas. «Il faut aussi que la population soit largement informée. Dans la rue, les caméras fixes sont indiquées par un pictogramme reconnaissable. Il faudrait une mesure similaire pour les caméras embarquées. Il devrait aussi être possible de voir si elles sont enclenchées ou pas.»
Aux premières loges dans le débat qui s’ouvre, le responsable de la protection des données du canton du Tessin, Michele Albertini, assure qu’il sera vigilant. Mais il n’a pas l’intention de faire de l’obstruction pour faire de l’obstruction. «Il faudra voir ce qu’il est question de faire avec ces images. Si la législation est respectée, la protection des données n’a pas pour but d’empêcher la police d’assurer la sécurité publique.»
A entendre le président de la Conférence latine des chefs des départements de justice et police, Jean Studer, le projet tessinois ne devrait pas faire d’émules en Suisse romande de sitôt. «A ma connaissance, il n’y a pas de débat en cours à ce propos», indique-t-il. Une exception tout de même: les Taser acquis en avril par la police genevoise – une première romande – sont tous dotés d’une mini-caméra. Comme au Tessin, l’objectif est de faire la preuve par l’image en démontrant, si besoin, la légitimité de l’utilisation du pistolet à impulsion électrique.