«Je suis un voyageur depuis toujours et fier de l’être.» Andreas Geringer se donne corps et âme pour défendre ce mode de vie nomade qu’il aime tant. Il a mis de côté son travail, la rénovation de maisons et particulièrement de toits en ardoise, afin de se consacrer aux conflits récurrents qui accompagnent le passage des gens du voyage européens en Suisse.

Depuis le début de l’année, Andreas Geringer est le médiateur en Suisse romande et en Suisse alémanique d’un projet pilote porté par la Société pour les peuples menacés et l’Association Sintis et Roms. Dans ce cadre, il se met à la disposition des gens du voyage, des autorités et de la police pour faciliter la communication. Le fait de pouvoir agir dans presque toute la Suisse lui permet de suivre les déplacements des groupes et d’anticiper les arrivées de caravanes. La démarche est soutenue par l’Office fédéral de la culture et le Service de lutte contre le racisme.

«La situation en Suisse est particulièrement tendue»

«C’est vraiment un plus d’avoir un médiateur issu de la communauté nomade, il peut mieux expliquer et est mieux entendu, ainsi on gagne du temps», constate Etienne Roy, préfet du Jura-Nord vaudois et médiateur pour les gens du voyage dans son canton. Andreas Geringer se considère comme le porte-parole de tous les groupes de nomades: «Ma mère est une Yéniche de la famille Geringer et mon père un Sinto de la famille Reinhardt. Nous sommes tous des voyageurs et devons nous battre ensemble pour obtenir des places.»

Celui que la communauté surnomme «Pancho» est un idéaliste, souvent déconcerté par la brutale réalité. Ayant épousé une Rom française et se déplaçant avec sa belle-famille, il se voit régulièrement interdire l’accès à des aires de stationnement «réservées aux Suisses».

De nombreux Roms ne connaissent pas les habitudes suisses et se comportent comme ils le font dans d’autres pays européens

Andreas Geringer

«Pancho est calme, tente toujours de trouver des solutions», relève Moumou Gomann, le beau-père d’Andreas Geringer. Ce Rom qui voyage dans toute l’Europe depuis plus de quarante ans observe que la situation est particulièrement tendue en Suisse, où il y a beaucoup moins de places que dans d’autres pays. «Le quotidien des gens du voyage ne s’améliorera pas en créant uniquement des aires de passage pour les Suisses, nous devons aussi tenir compte des groupes étrangers», soutient Fiona Wigger de l’Office fédéral de la culture.

Incompréhension mutuelle

«J’ai toujours aidé les nomades qui en avaient besoin», raconte Andreas Geringer, qui ne se souvient pas depuis combien d’années il a endossé de façon non officielle ce rôle de médiateur. Sur le terrain, il se heurte à beaucoup d’agressivité de part et d’autre, mais son optimisme à toute épreuve le pousse à maintenir le dialogue. Il attribue ces tensions à une incompréhension mutuelle qui se perpétue depuis des lustres.

«De nombreux Roms ne connaissent pas les habitudes suisses et se comportent comme ils le font dans d’autres pays européens, constate «Pancho», ils laissent par exemple tous leurs déchets sur place quand ils s’en vont.» De plus, la police et les autorités ignorent souvent les coutumes des Roms: «Si les toilettes des hommes et des femmes sont installées les unes en face des autres elles ne seront pas utilisées, car chacun a besoin d’un endroit bien séparé», explique Andreas Geringer.

Un effort permanent

L’énergie déployée par le médiateur semble porter ses fruits. Depuis le début de l’année, «Pancho» est parvenu à trouver des solutions dans de nombreuses situations qui auraient pu devenir conflictuelles. «A Wileroltigen (BE), où des caravanes se sont installées début juin sur l’aire d’autoroute, Andreas Geringer nous a soutenus dans les négociations et a fait en sorte que l’ordre soit maintenu», témoigne le coordinateur d’intervention de la police cantonale bernoise, Jürg Bissegger.

La population fait preuve d’une tolérance zéro avec les gens du voyage. Elle exige que l’on soit parfait, mais la perfection est vraiment difficile à atteindre.

Andreas Geringer

Cette victoire a cependant été de courte durée: une autre famille s’est installée quelques semaines plus tard, n’a pas utilisé les sanitaires ni récolté ses déchets, au grand désespoir d’Andreas Geringer. Il le reconnaît, certains groupes posent problème et il essaie de les sensibiliser par tous les moyens. Il n’en regrette pas moins que l’ensemble des nomades soient mis dans le même panier alors que la majorité respecte les règles: «La population fait preuve d’une tolérance zéro avec les gens du voyage. Elle exige que l’on soit parfait, mais la perfection est vraiment difficile à atteindre.»

A la fin de l’année, le travail du médiateur sera évalué afin de déterminer s’il a permis de limiter les conflits et d’éviter des interventions policières. En cas de bilan positif, la Société pour les peuples menacés et l’Association Sintis et Roms espèrent que la Confédération et les cantons financeront un poste fixe de médiateur. Dans tous les cas, Andreas Geringer continuera à se battre pour son mode de vie et ses idéaux.


Du mouvement du côté des aires de passage

De nouvelles solutions pour les gens du voyage se sont concrétisées la semaine dernière. Le canton de Berne et l’Office fédéral des routes ont annoncé vendredi qu’ils envisageaient d’aménager durablement le terrain attenant à l’aire de repos de Wileroltigen (BE) pour l’accueil des nomades européens. Le Conseil exécutif bernois va établir ces prochains mois un avant-projet et une estimation des coûts. De plus, une nouvelle place officielle entre Châtel-Saint-Denis et Bulle (FR) a été inaugurée jeudi.

Andreas Geringer n’a pas manqué l’événement et salue cette ouverture, mais il jette un regard critique sur la clôture et l’encadrement policier du dispositif. Il doute aussi, ainsi qu’il l’expliquait à l’ATS, que quatre bornes d’eau et quatre bornes d’électricité soient suffisantes pour quarante caravanes. Sans parler d’un unique bloc de WC pour hommes et femmes, sans portes.