Diplomatie
Le Conseil fédéral reçoit le président du Portugal pour une visite d’Etat de deux jours. La libre circulation, primordiale pour la forte communauté portugaise de Suisse, sera au cœur des discussions

On dit d’une visite d’Etat qu’elle marque généralement un nouveau départ dans une relation. La réception de François Hollande en 2015 avait permis de tourner la page après les conflits fiscaux, celle du président tunisien en février dernier de signer une déclaration d’intention par rapport à la restitution des avoirs du clan Ben Ali.
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Rien de tel avec le Portugal. L’histoire d’amitié entre Berne et Lisbonne ressemble à un long fleuve tranquille. Mais c’est justement parce que l’on aurait tendance à oublier cette relation ronronnante que le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann recevra lundi et mardi son homologue portugais Marcelo Rebelo de Sousa dans une visite d’Etat, soit le plus haut niveau protocolaire.
Une communauté perçue de manière positive
La rencontre aura forcément des couleurs particulières. Environ 270’000 Portugais habitent en Suisse, ce qui en fait la 3e communauté étrangère du pays. Ils sont d’ailleurs nombreux à résider en Suisse romande. Dans le canton de Neuchâtel, le patronyme le plus porté est même Da Silva loin devant Jeanneret ou Robert.
La communauté, discrète, bénéficie d’une image largement positive, «parce que l’ethos du travail est l’un des traits distinctifs du groupe. Le Portugais qui émigre est là pour bosser, faire son travail. Et la migration portugaise en Suisse coïncide aussi avec celle d’autres nationalités qui étaient, elles, très stigmatisées et ont servi de paratonnerres», souligne Rosita Fibbi, sociologue au Forum suisse pour l’étude des migrations à l’Université de Neuchâtel.
Libre circulation en tête
Si le Conseil fédéral a invité le président portugais, c’est tout d’abord pour célébrer cette présence. Aucun accord ou document ne sera ratifié au cours de la rencontre. «Cette visite est un hommage aux liens très forts entre le Portugal et la Suisse et à l’importance, économique notamment, de la communauté portugaise», souligne Erik Reumann, porte-parole du Département de l’Economie, la Formation et la Recherche (DEFR). Entre son accueil à Genève et la réception officielle à Berne, le président prendra ainsi un bain de foule dans l’après-midi au centre sportif des Vernets.
Mais, bien sûr, la venue du président Marcelo Rebelo de Sousa donnera aussi l’occasion au Conseil fédéral de chercher un allié sur le dossier européen. Les Portugais bénéficient largement de l’accord sur la libre circulation des personnes. La communauté en Suisse a crû de 130’000 âmes de 2002 à 2015, soit l’équivalent de la ville de Lausanne. «Deux groupes ont essentiellement répondu présents à la réorganisation de la politique migratoire suisse début 2000: les Allemands pour la main-d’œuvre qualifiée et les Portugais pour la main-d’œuvre non qualifiée», explique la chercheuse Rosita Fibbi.
Selon une étude parue en 2010 à laquelle a œuvré la sociologue, la part d’actifs parmi les Portugais de Suisse est de 80%. Elle surpasse nettement celle observée auprès d’autres nationalités et même celle des autochtones (65%). «La structure par âge de la population portugaise, très jeune, explique en partie ce phénomène. Et les femmes portugaises travaillent. Le modèle bourgeois où la femme cesse de travailler lorsqu’elle a un enfant ne s’est jamais implanté au Portugal», relève Rosita Fibbi.
Tester la préférence indigène light
L’importance économique de cette main-d’œuvre n’est sous-estimée ni par la Suisse, ni par le Portugal qui bénéficie en retour d’envois de liquidités au pays. Le gouvernement portugais, considéré comme pragmatique dans son approche européenne veut une solution au casse-tête de l’initiative «contre l’immigration de masse» tout en défendant l’Accord sur la libre circulation des personnes. En fonction depuis mars seulement, le président de Sousa occupe essentiellement une fonction honorifique. Mais il est lui-même vu comme un homme prompt à chercher des consensus.
«L’idée de faire des contingents très larges avait même été évoquée par le Portugal lors d’une précédente rencontre», note une source diplomatique. Lundi et mardi, l’ébauche de loi d’application de l’initiative «contre l’immigration de masse» sera donc présentée aux interlocuteurs portugais. La question essentielle portera sur leur appréciation de cette mise en œuvre, notamment de la fameuse préférence indigène light, qui consisterait à obliger les employeurs à annoncer les postes vacants, et de la prise de mesures correctives soumises au besoin au comité mixte.
Intérêt pour la formation professionnelle suisse
Le camp helvétique profitera aussi de cette visite pour évoquer la nomination officielle jeudi dernier du Portugais Antonio Guterres au secrétariat général de l’ONU, tandis que le chef d’Etat du Portugal a souhaité voir de plus près le système d’apprentissage et les milieux scientifiques helvétiques. «Le président portugais est très intéressé par la formation professionnelle et la recherche. Nous allons visiter un institut de recherche à Genève ainsi qu’une entreprise de mécanique bernoise qui forme des apprentis», précise Erik Reumann.
«Nous faisons confiance au bon sens»
Le vice-président de l’Association Culturelle d’Expression Portugaise à Genève, Alvaro Oliveira, exprime les attentes que suscite la visite d’Etat.
Le Temps: Que représente la visite d’Etat du président Marcelo Rebelo de Sousa pour vous?
Alvaro Oliveira: C’est un moment important pour les Portugais de Suisse. Il vient en visite d’Etat, mais il a accepté, comme d’autres avant lui, de rencontrer la communauté aux Vernets. C’est un geste qui traduit l’importance accordée à la communauté, à tous ceux qui sont partis pour trouver une situation meilleure.
– Le président du Portugal est en fonction depuis mars seulement. Quelle est son image?
– Il a beaucoup surpris, en montrant un visage différent de ce qu’il dégageait avant les élections. Il est très conciliant, fait des efforts pour mettre ensemble toutes les forces politiques portugaises, de gauche à droite, afin de trouver des consensus. La coalition parlementaire à l’œuvre est novatrice, pouvant même paraître atypique, mais elle dure. Je pense que le président y est pour beaucoup dans cet équilibre, cet effort pour que le pays avance.
– Quelles sont les attentes des Portugais de Suisse?
– A mon avis, la communauté portugaise se sent bien en Suisse. Il n’y a pas de réclamations à faire. Il y en avait par le passé, à l’époque des permis. Reste qu’au niveau de la langue, un effort pourrait être fait vers une reconnaissance du portugais, comme cela se fait davantage à l’égard de l’espagnol par exemple.
– La communauté portugaise est-elle inquiète par rapport à la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, au bras de fer qui oppose la Suisse à l’Union européenne?
– C’est un souci, mais sans doute que d’autres communautés plus récemment établies en Suisse sont davantage inquiètes. La communauté portugaise a une longue tradition en Suisse. Bien sûr, dans les médias portugais, le vote du 9 février 2014 a été présenté comme désastreux.
Mais nous faisons confiance au bon sens. J’espère que ce thème soit abordé à Berne entre les deux présidents pour éclaircir la situation. Le Portugal peut être un allié de la Suisse à Bruxelles, et inversement, la Suisse servir les intérêts du Portugal. Tout le monde sait que la Suisse a un poids considérable sur la scène internationale.