SUISSE-UE
Cla-Val, PME vaudoise et leader mondial des vannes, vend 40% de ses produits en Europe, mais les tracasseries se multiplient pour les entreprises qui commercent avec l’UE. Pour economiesuisse, la relation actuelle est bonne. Elle plaide pour le statu quo. Un avis qui ne fait pas l’unanimité
La semaine passée, les douanes allemandes ont arrêté un camion immatriculé en Suisse et chargé de vannes – appareils indispensables pour réguler la pression d’eau, de pétrole ou de gaz. Cette cargaison devait être regroupée avec d’autres avant d’être expédiées par avion vers un pays du Golfe. Ce matériel pouvant être considéré comme sensible, sa vente a été vérifiée et autorisée par les services du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) à Berne.
«Ce n’est pas la première fois que nos exportations de vannes transitent par un aéroport allemand. Mais depuis peu, de nouvelles tracasseries se multiplient dans certains pays européens, proteste Hugo van Buel, directeur de Cla-Val (Europe). Les flexibilités qui facilitaient les échanges tendent à disparaître. Nous devions déjà nous adapter aux normes et réglementations européennes, mais, désormais, nous constatons un excès dans leur application.» En réalité, il craint que la crispation liée aux relations bilatérales ne porte atteinte aux échanges commerciaux: 40% des exportations de Cla-Val sont destinées au marché européen.
Sise à Romanel-sur-Lausanne, cette entreprise est le leader de la vanne automatique utilisée dans le monde entier pour la distribution d’eau potable et industrielle, les systèmes de protection incendie, le forage, le stockage et la distribution de pétrole et de gaz. C’est Cla-Val qui a fourni la vanne qui contrôle la pression du jet d’eau de Genève. Le Burj Dubaï, le plus haut gratte-ciel au monde, le terminal gazier de Guangdong, l’usine BMW en Allemagne sont dotés des vannes «swiss made».
Cette entreprise compte 45 employés en Suisse. Mais elle fait partie d’un groupe dont le siège principal se trouve à Newport Beach en Californie. Outre Cla-Val (Europe), qui est la centrale pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, le groupe compte des filiales au Canada, au Royaume-Uni et en France. «Le site lausannois est spécialisé dans l’assemblage des vannes – près de 3000 produits différents –, dont le plus imposant pèse 7 tonnes, explique Hugo van Buel. Les deux fonderies du groupe utilisent jusqu’à 50 alliages. L’objectif est de rendre nos produits résistants, notamment à la corrosion marine.»
Pour le patron de Cla-Val, les entreprises suisses ont appris à vivre avec la décision souveraine de ne pas adhérer à l’Espace économique européen du 6 décembre 1992. Au fil des années, elles ont su adapter leurs produits aux normes et réglementations européennes pour pouvoir vendre dans le marché unique. «Dans la pratique, nous avons intégré l’UE, dit-il. Sauf qu’à présent, l’attitude à notre égard est en train de changer.» Hugo van Buel fait référence aux tendances protectionnistes et aux appels répétés à la préférence nationale lancés dans de nombreux pays européens. «Il ne faut pas que cela s’aggrave, dit-il. Ce n’est dans l’intérêt de personne qu’on commence à se bagarrer avec Bruxelles.»
Hugo van Buel n’est pas le seul à relativiser le refus suisse de l’EEE. En 2010, l’organisation patronale economiesuisse avait réalisé un sondage auprès de ses membres sur leurs relations avec l’UE. A part les normes européennes qu’ils ont dû intégrer et quelques particularités dans certains pays, les entreprises suisses étaient globalement satisfaites sur l’accès au marché unique.
«L’actuel réseau d’accords bilatéraux avec l’UE est très dense, fait remarquer Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse. Il répond aux principaux besoins de notre économie. Il n’y a donc pas urgence à conclure de nouveaux accords. Et surtout pas à n’importe quel prix.» Selon elle, la principale pierre d’achoppement pour la conclusion de nouveaux instruments vient de l’UE. «Exiger une reprise automatique du droit européen et une autorité de surveillance uniquement européenne est tout simplement irrecevable pour des raisons évidentes de souveraineté nationale, poursuit Cristina Gaggini. Si Bruxelles devait maintenir une attitude dogmatique, nous serions effectivement dans une impasse difficile à surmonter.» Elle estime par ailleurs que la Suisse peut se prévaloir d’être le troisième partenaire commercial de l’UE, après les Etats-Unis et la Chine. De plus, l’Europe a elle-même exprimé son intérêt pour un accord sur l’électricité, nécessaire pour lancer les investissements dans le réseau électrique. Sans oublier que la position de Bruxelles n’est pas toujours celle des Etats membres. «Il n’y a aucune raison de paniquer, poursuit-elle. L’UE doit reconnaître l’intérêt réciproque de se focaliser sur le renforcement de la compétitivité du continent européen dans son ensemble.»
Jean Russotto, avocat d’affaires suisse installé à Bruxelles, est plus circonspect. «La ligne politique est de dire que tout va bien et que les bilatérales ont permis aux entreprises suisses d’avoir un accès au marché unique sans discrimination, dit-il. La ligne réaliste est que toutes les entreprises, les PME en particulier, n’ont pas les moyens d’intégrer les normes et réglementations européennes.» Il rappelle par ailleurs que, dans l’industrie financière, les accords bilatéraux permettent à des banques et assurances d’opérer en Europe, mais excluent de nombreux acteurs, notamment les gérants de fortune et autres fiduciaires. «On peut toujours se contenter de moins et vivre heureux avec ce qu’on a», ironise Jean Russotto, partisan de plus de rapprochement entre Berne et Bruxelles.
Pour François Chérix, pro-européen romand, plus de 120 accords bilatéraux font de la Suisse un Etat déjà très intégré dans le dispositif européen, parfois davantage que certains membres. «Si l’on ajoute l’arrimage du franc à l’euro, on peut dire que la Suisse est devenue une sorte de membre passif de l’UE, intégrée au plan économique, mais sans la moindre influence au plan politique», fait-il remarquer.
Toutefois, selon lui, la situation actuelle devient dangereuse. «D’une part, les accords bilatéraux sectoriels sont figés, alors que le droit européen ne cesse d’évoluer, explique-t-il. Les entreprises suisses doivent donc faire face à des difficultés croissantes pour être en phase avec le marché et les législations qui l’organisent. D’autre part, la situation juridique n’est pas sécurisée par un cadre institutionnel global et durable.» François Cherix explique enfin la difficulté des entreprises à conduire des politiques d’investissement solides alors même que l’avenir des relations avec l’UE n’est pas connu.
«Il n’y a donc pas urgence à conclure de nouveaux accords. Et surtout pas à n’importe quel prix»