C’est donc non. Les premiers résultats de ce dimanche de votations ne laissent aucun espoir aux partisans de la réforme des retraites proposée par Alain Berset, fruit de cinq ans de travaux législatifs et d’un compromis historique entre le PS et le PDC.

Mais pourquoi ce refus d’un paquet que beaucoup jugeaient à la fois nécessaire et équilibré? Premières tentatives de réponse.

 

Le paquet était trop gros

Les grandes lignes de la réforme, présentées en juin 2013, contenaient une première nouveauté: une approche globale du premier et du deuxième pilier, jamais entreprise auparavant. Le Conseil fédéral voulait ainsi jouer cartes sur table et misait sur l’équilibre de l’ensemble. En réalité, il a soulevé un vent de protestation et provoqué un cumul des griefs.

Notre suivi en continu du dimanche de votations

Baisse du taux de conversion pour le calcul de la rente du deuxième pilier, augmentation de l’âge de la retraite des femmes, hausse de la TVA: la droite et la gauche ont tiré à boulets rouges sur le paquet. La réforme a cependant fait son chemin. Le slogan «Tous contre Berset» a disparu dès lors que le parlement a repris le dossier pour y mettre sa propre patte. Cependant, le paquet est resté lourd à digérer pour les citoyens. Difficile en effet d’en mesurer et surtout d’en maîtriser tous les paramètres. Et ce dimanche, c’est bel et bien l’addition des oppositions qui a coulé la révision.

Le compromis a fâché

La réforme de la prévoyance vieillesse a été officiellement présentée comme un compromis. Quel compromis? La gauche parlementaire a fini par accepter l’augmentation d’une année de l’âge de la retraite des femmes, contre une amélioration de la rente AVS et des mesures pour les bas salaires et les temps partiels. Elle a construit une majorité avec le PDC, trop content de profiter de l’occasion pour concrétiser une de ses vieilles revendications: une amélioration de la situation pour les couples mariés, qui ne touchent qu’une rente et demie pour deux.

Quand Alain Berset défendait son projet: «Le PLR n’a jamais amené de propositions convaincantes»

Ce faisant, ils ont verrouillé la réforme, ne laissant que peu d’espace à d’autres solutions. De quoi fâcher les milieux économiques. Et surtout le PLR, dont les propositions successives n’ont eu aucune chance. Tous les stratèges le savent: il faut se garder d’humilier l’adversaire.

L’équilibre n’a pas convaincu

Un paquet global synonyme de paquet équilibré. Effectivement, vu de loin, tout le monde était appelé à faire des efforts pour assainir le financement du système d’assurance vieillesse. Des efforts supportables.

Difficile, cependant, de voter sans s’interroger sur sa propre situation. Les opposants à la réforme l’ont bien compris. Les mouvements syndicaux et de la gauche romande ont mis l’accent sur le sacrifice demandé aux femmes. La droite a placardé dans tout le pays des portraits de jeunes avec leur double âgé. «Trahir les jeunes, punir les retraités», a-t-on pu lire partout. Parce que les jeunes étaient appelés à cotiser davantage, tout en sachant qu’une nouvelle réforme allait les affecter d’ici à ce qu’ils atteignent l’âge de la retraite. Parce que les retraités actuels ne touchaient pas le bonus AVS, mais subissaient la hausse de la TVA. Femmes, jeunes, vieux: ça fait beaucoup de monde. Alors qu’une catégorie de la population était particulièrement épargnée par la réforme: les fameux baby-boomers. Ils arrivent à l’âge de la retraite, mettent les finances en péril, mais bénéficiaient d’un droit acquis dans le deuxième pilier…

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Le marché du travail n’est pas adapté

Augmenter d’une année l’âge de la retraite des femmes sans amélioration sur le plan de l’égalité salariale? La pilule était difficile à avaler pour les féministes, même si les militantes de la première heure, comme Christiane Brunner ou encore Maria Bernasconi, ont tenté de rassurer leurs camarades sur les avantages de la réforme.

Mais la campagne a mis en évidence d’autres craintes de la population: comment rester professionnellement actif jusqu’à 65 ans alors que le marché de l’emploi boude les seniors? La digitalisation qui s’impose dans de nombreux secteurs économiques n’a rien pour rassurer ceux qui ne sont pas nés avec une souris dans la main. Et la Confédération se montre très timide pour intervenir dans ce domaine, comme dans celui de l’égalité d’ailleurs.

Il fallait un triple oui

La réforme impliquant un changement du taux et de l’affectation de la TVA, le peuple était obligatoirement appelé à se prononcer puisqu’il s’agit d’une question constitutionnelle, nécessitant un double oui, celui du peuple mais aussi celui des cantons. Craignant une campagne portant uniquement sur des arguments techniques et financiers, les opposants de gauche ont malgré tout lancé un référendum afin de faire entendre leur voix.

Résultat des courses: deux objets étaient soumis au peuple, l’arrêté fédéral sur le financement additionnel de l’AVS par le biais d’un relèvement de la TVA et la loi fédérale sur la réforme de la prévoyance vieillesse. De quoi créer une certaine confusion. Celle-ci a produit ses effets ce dimanche.